L’électricité gratuite devient trop chère

L’un des effets de bord de la guerre en Ukraine aura été un certain chaos électrique sur le sol européen. Afin de compenser la réduction des capacités d’importation de gaz méthane russe, les installations solaires et éoliennes ont été multipliées au point de générer plus d’électricité que les combustibles fossiles. Cette augmentation ne reste pas sans effet.

 

La bourse de l'électricité chahutée

Sur les marchés, le prix de l’électricité varie toutes les 15 minutes selon l’offre et la demande. Avec l’arrivée massive d’énergie solaire, notamment entre 10h et 16h, l’offre dépasse souvent la demande durant les heures de beau temps, d’autant que les centrales nucléaires ne peuvent pas faire varier leur production.

Sans possibilité de stocker cette électricité, il devient nécessaire de s’en débarrasser pour ne pas mettre hors service les réseaux. Ainsi, des industries et des acheteurs occasionnels sont payés pour détruire ce surplus, d’où l’instauration de prix négatifs. Ces pertes financières révèlent les manques du secteur, et sa peine à s’adapter.

 

Explosion de l'électricité et de l'éolien

Avant le covid, cet effet, inquiétant mais maîtrisable, cumulait les 700 heures par année à travers toute l'Europe (décompte fait par pays). Depuis, le système s’est emballé et déraille tant au niveau technique que financier.

En cinq ans, la capacité des parcs solaires européens a plus que doublé, passant de 120 GW à 300 GW. De son côté, la capacité éolienne est passée de 190 GW à 280 GW. Corollaire de cette hausse, les tarifs négatifs ont explosé. Ils concernaient 6400 heures pour toute l’année 2023, on en est à plus de 7800 pour les huit premiers mois de 2024.

Ce mécanisme s’observe essentiellement hors des mois froids car, durant l’hiver, la production est engloutie par les systèmes de chauffage et la consommation industrielle.

 

Les tarifs négatifs s'accumulent

Le pays le plus touché par ce phénomène est la Finlande, qui dénombre plus de 500 heures cette année. Avec ses centrales nucléaires, Helsinki peine à ajuster sa production. La perspective est d’autant plus maussade que les coûts de construction de sa dernière centrale EPR avaient explosé.

L’Allemagne est également dans le rouge avec 375 heures, tout comme la France avec plus de 300 heures. A contrario, c’est l’Italie, et ses centrales à gaz méthane plus souples, qui s’en sort le mieux avec pratiquement aucune heure à prix zéro.

 

Les financiers dans l'incertitude par des prix incertains

Cette difficulté d’adaptation inquiète et éloigne les financiers qui recherchent des rendements élevés sur le long terme. Le retrait de BP ou de Shell dans des projets éoliens importants ne trompe pas.

Aujourd’hui, estimer le prix de l’électricité dans cinq ou dix ans est devenu un acte divinatoire. Sera-t-elle gratuite ou nettement plus chère? La question reste ouverte.

Tant que la situation ne se stabilise pas, il est périlleux de se lancer dans la réalisation de nouvelles unités de production onéreuses telles que des réacteurs nucléaires, des centrales à gaz ou des fermes d’éoliennes. Pire, toute capacité supplémentaire ne fera qu’alimenter cette spirale infernale. Il ne faut pas produire plus, mais mieux.

 

Des solutions car quand c'est gratuit...

Les solutions lorgnent vers des éléments de stockage ou de déversage comme la production d’hydrogène.

Mais ces options sont financièrement douloureuses et nécessitent des subventions qui entrent en choc frontal avec les restrictions budgétaires des Etats.

De plus, parent pauvre du système, le transport de l’électricité via des lignes à haute tension a été négligé. Les innovations et la remise à niveau de ces autoroutes énergétiques peinent à se matérialiser et, dans de nombreux pays, le réseau ne tient que par miracle. La Chine, devenue le plus grand investisseur du réseau au Portugal, en est le symbole. Or laisser dans les mains de Pékin un réseau aussi stratégique relève de l’audace.

Le secteur a besoin de faire sa transition, mais plus il attend, plus la situation devient intenable, et chaque panneau solaire installé supplémentaire enfonce le clou. Si aujourd’hui la boule de cristal sert de guide pour les investissements à travers l’Europe et en Suisse, les gestionnaires d’électricité commencent à conjuguer à tous les temps: quand c’est gratuit, c’est trop cher.

 

Article publié dans le journal Le Temps

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