L'Europe risque une prophétie auto-réalisatrice concernant la menace russe

Hanna Notte - L'auteure est directrice du programme de non-prolifération Eurasia au James Martin Center for Nonproliferation Studies. Sa rubrique a été publiée dans le Financial Times.
Les réserves énergétiques Russes et les besoins en énergie de l'Europe vont jouer un enjeu géopolitique important dans les années à venir. Sa perspective et vision sont très intéressantes d'où l'intérêt de traduire sa rubrique en français et de vous le proposer.

Selon elle, les dirigeants du continent devraient se garder de battre trop fort le tambour de la guerre.

 

Le son du clairon

Avec la fin de la partie ukrainienne qui approche, les inquiétudes européennes concernant une future attaque russe contre un pays de l'OTAN prennent un nouveau caractère d'urgence, voire d'inévitabilité.

En novembre, le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, a repris les avertissements des historiens militaires selon lesquels « nous avons déjà connu notre dernier été de paix ».

Peu après, le secrétaire général de l'OTAN, Mark Rutte, a prédit que « nous sommes la prochaine cible de la Russie » et que « nous devons nous préparer à une guerre d'une ampleur comparable à celle qu'ont endurée nos grands-parents ou arrière-grands-parents ».

Sir Richard Knighton, chef d'état-major de la défense britannique, s'est fait l'écho de ces sentiments lorsqu'il a appelé les « fils et filles » de la nation à se préparer à combattre en cas d'attaque russe contre la Grande-Bretagne.

 

Une montée des rhétoriques

L'inquiétude des Européens est tout à fait compréhensible. Quelle que soit l'issue de la guerre en Ukraine, le continent risque d'être confronté pendant des années à une Russie revancharde et fortement militarisée. 

Le Kremlin ne cache pas son intention persistante de repousser les frontières de l'OTAN et de réviser l'architecture de sécurité européenne.

La rhétorique belliqueuse de Vladimir Poutine – qui a récemment averti que si l'Europe déclenchait une guerre, la Russie serait prête à se battre et ne laisserait « personne avec qui négocier » – n'aide pas.

Et la nouvelle stratégie de sécurité nationale des États-Unis, qui met en garde contre les dangers d'un « effacement civilisationnel » sur le continent et oriente la politique américaine vers les « partis européens patriotiques » souvent sympathisants de Moscou, insiste sur le risque que l'Europe se retrouve stratégiquement isolée face à une Russie agressive. 

Compte tenu de ces circonstances inquiétantes, les responsables européens espèrent, en tirant la sonnette d'alarme sur une future attaque russe, faire comprendre l'importance des enjeux à leurs populations, qui sont restées largement apathiques face à la campagne hybride de la Russie.

 

Les facettes des tambours de guerre

À en juger par les débats ardues (et les retards) sur l'augmentation des dépenses de défense au cours des trois dernières années et demie, il est vrai que l'Europe a besoin d'un choc pour passer à l'action. Mais battre les tambours de guerre comporte également des écueils.

La première est d'ordre analytique. Ayant commis l'erreur fatale de croire que la Russie n'envahirait pas l'Ukraine en février 2022, certains Européens semblent aujourd'hui vouloir corriger à l'excès cette erreur de jugement passée, en se convainquant eux-mêmes et en convainquant les autres qu'une attaque contre l'Europe est inévitable.

Cette correction excessive pourrait nourrir un biais de confirmation, c'est-à-dire une tendance à rechercher des preuves qui valident ses craintes tout en ignorant les signes contraires.

Mais une analyse lucide doit toujours rester ouverte à la possibilité que la Russie, aussi hostile soit-elle, n'ose pas lancer une attaque à grande échelle contre un pays de l'OTAN. Elle doit envisager la possibilité que Moscou estime que la campagne hybride actuelle sert parfaitement ses objectifs, ou qu'elle continue à croire davantage que les Européens à l'engagement des États-Unis envers la défense collective de l'OTAN, ou les deux.

 

Les nationalistes des deux camps

Plus problématique encore, invoquer le spectre d'une guerre inévitable avec la Russie pourrait alimenter une spirale d'escalade. L'alarmisme européen a déjà encouragé un nombre croissant d'élites russes à se livrer à un jeu de miroirs. Elles affirment que c'est l'Europe, en se réarmant, qui se prépare à faire la guerre à la Russie, dans le but d'infliger une « défaite stratégique » au pays.

Les propagandistes russes sautent sur l'occasion pour présenter ce qu'ils décrivent comme une Europe belliciste comme le nouvel adversaire en chef, maintenant que Donald Trump préfère engager le dialogue avec la Russie. Selon un récent sondage d'opinion, la proportion de Russes qui considèrent l'Europe comme un ennemi a fortement augmenté au cours de l'année dernière.

On pourrait maintenant affirmer que le Kremlin alimentera l'europhobie quoi que disent ou fassent les Européens, ou que l'hostilité croissante de la Russie ne fait que confirmer davantage la nécessité pour l'Europe de sonner l'alarme. Mais comme le dit le proverbe, l'enfer est pavé de bonnes intentions.

 

Reprendre le dialogue entre l'Europe et la Russie

Dans un contexte d'escalade rhétorique des deux côtés, une Russie perpétuellement paranoïaque pourrait être plus encline à considérer certains actes — par exemple, l'interception d'un navire russe par les pays baltes — comme le prélude à une attaque, et à réagir en conséquence.

En d'autres termes, plus un camp croit que la guerre est imminente, plus l'autre camp y croira aussi.

Le risque que la guerre devienne une prophétie auto-réalisatrice est aggravé par le manque flagrant de voies de communication directes entre l'Europe et la Russie qui pourraient être utilisées pour clarifier les intentions dans un contexte de tensions croissantes.

 

Une prophétie qui se réalise

Coincés entre une Russie menaçante et une administration Trump imprévisible, les États européens ont raison d'investir dans la dissuasion et la défense.

Mais s'ils en viennent à considérer la guerre avec la Russie comme inévitable, ils risquent d'accélérer le conflit qu'ils espèrent justement éviter.

Les relations conflictuelles avec la Russie resteront une constante du paysage sécuritaire européen pendant encore longtemps. Il est donc d'autant plus important pour les Européens de rechercher des moyens de réduire les risques militaires avec la Russie et de peser leurs paroles et leurs actes avec soin.

Hanna Notte, directrice du programme de non-prolifération Eurasia au James Martin Center for Nonproliferation Studies. Article tiré du Financial Times et traduit en français

 

 

 

 

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