Efficacité : au début, c’est pas cher  

Par Thomas Norway – Il est temps de passer à des exemples pratiques de l'efficacité énergétique en commençant par la révolution industrielle. Durant celle-ci, la machine à vapeur s’est développée et s’est emballée alors que le concept de l’usage de la vapeur existait déjà depuis des siècles.

Bloquant pour les civilisations antérieures, le seuil de rentabilité a été franchi et la machine à vapeur a initié une période d’innovations, de puissance et de promesses de lendemains qui chantent.

 

La notion de seuil

Moyen mnémotechnique : le seuil d’une marche.
Vous êtes seul et sans aucun équipement face à un mur de béton lisse très haut et il vous est impossible de le franchir. Si une autre personne n’a rien d’autre à faire, elle pourrait éventuellement vous faire la courte-échelle pour vous aider à passer ce cap.

Plus c’est haut, plus il faut de gens désœuvrés pour atteindre l’objectif.

J’attire votre attention sur la quantité exponentielle de gens pour "Aller plus haut" comme le clame / chante / beugle  Tina Arena

 

Moyen paradisiaque : le tracteur
Vous êtes sur une île avec tout ce qu’il vous faut pour construire le tracteur (hangar, plans, métal, compétences, pétrole…) il faut "juste" fabriquer les pièces et les assembler. Avec ce tracteur, vous pourriez produire moult nourriture rapidement et avoir du temps libre.

Cependant, vous n’avez que le concept de tracteur et vous devez quand même passer des heures de dur labeur à produire votre nourriture (maison, feu, vêtements…). Le peu de temps libre disponible vous permet seulement de constater que les premières pièces, que vous auriez éventuellement produites, ont rouillé et que les outils doivent être entretenus, que le hangar doit être réparé, que l’essence s’est évaporée… foutue entropie qui dégrade tout.

Si seulement, il y avait plus de gens désœuvrés sur cette île déserte !

Si seulement vous aviez ce tracteur, vous auriez le temps …de fabriquer un tracteur !

Le seuil, c’est une quantité à atteindre (2h de travail par jour par exemple) en combinant des machines, des personnes désœuvrées qui ont du temps « libre » et pour entrouvrir la porte socio-politique de l’énergie, on pourrait ajouter que les personnes doivent être enclines (par choix ou par contrainte) à y allouer leur temps disponible.

 

Le seuil de la rentabilité

Comme nous l’avons vu précédemment, la taille d’une machine va fortement influencer l’efficacité et donc :
    • Son gain (ce qu’elle va produire) car sa production est déterminée par sa taille (sa puissance) multipliée par son efficacité. 
    • Son coût qui est exponentiel avec l’efficacité

Cependant, pour qu’une machine ou technologie se développe, il faut surtout qu’elle rapporte plus que ce qu’elle coûte, qu’il y ait un excédent !
Un four de 100 KW (taille) avec une efficacité de 5% va produire 5 KW de ciment.
Un four de 100 KW demande un flux d’investissement de Y KW
Y doit être plus petit que 5 KW pour être rentable. Plus Y est petit, plus on aura un surplus pour produire d’autres fours qui pourront être plus grands, plus efficaces et produire encore plus de surplus. 

Le gain en vert est linéaire, une machine efficace à 50% produit 2 fois plus qu’une machine efficace à 25% ou 5 fois plus qu’une machine efficace à 10%.

Le coût en rouge est exponentiel et tendant vers l’infini (à 100% pour ce cas illustratif).

La zone bleue est la zone de rentabilité dans laquelle le gain est supérieur au coût : c’est le gain net (les gains moins les coûts ).

Le coût de Seuil de rentabilité est un coût de S watts (en mauve).

S’il n’’y pas assez de personnes ou de machine désœuvrées pour fournir le travail (le coût) pour atteindre S alors la machine ne pourra pas être rentable et son développement sera limité, contraint.

 

L’éolipyle et les automates de Heron d’Alexandrie

Le concept de la machine à vapeur existe depuis longtemps, genre le premier siècle après J-C (Jean-Claude sans D comme Dusse) avec l’éolipyle de Heron d’Alexandrie.

Cependant, la civilisation grecque ne produisait pas un surplus suffisant pour atteindre le seuil de rentabilité. Elle ne pouvait que fabriquer des machines non rentables pour le fun ou impressionner le chaland comme des ouvertures de portes de temple "automatiques".

Ce qui importe, c’est la capacité à dépasser le seuil de surplus requis pour permettre le développement d’une machine complexe et du contexte (compétences, connaissances, industrie…) qui a permis sa fabrication (lire)


 
De la pomme de terre au charbon de terre

Comme expliqué dans l'article "l'énergie donne la patate", la pomme de terre a permis la révolution industrielle en poussant la paysannerie désœuvrée(*) vers les mines et les usines qui ont fait grossir l’industrie. Ceci ayant pour conséquence d’augmenter le surplus pouvant être attribué à autre chose, la capacité de réaliser de nouveaux investissements sans risque pour la société et de dépasser le seuil de rentabilité de la machine à vapeur.

Pour le tracteur sur l’île, grâce à la patate, vous ne devez plus consacrer que 6h par jour au lieu de 8h à produire de la nourriture. Vous avez gagné 2h sans risquer de mourir de faim. Une fois le tracteur fabriqué, son usage vous fait gagner encore 2h que vous pouvez utiliser pour faire d’autres machines.

(*) ladite paysannerie était encline à aller dans l’industrie par contrainte car ils ne possédaient pas de terres, propriété de l’aristocratie (fermeture de la porte socio-politique). 

 

Explosion machinique

Une fois le seuil de rentabilité dépassé, les premières machines ont créé de nouveaux excédents qui ont permis de produire toujours plus de machines dont l’efficacité a augmenté via l’innovation ou via leur taille (plus gros = plus efficace)

Image tirée du livre  V. Smil : « Energy and civilizations : a history
Attention les échelles sont logarithmiques. 

Entre 1750 et 1800, la puissance de production est multipliée par 6 et l’efficacité par 10 : 1,6 fois la puissance.

Ensuite, sur une période deux fois plus longue, la puissance de production est multipliée par 20 et l’efficacité seulement par 4 : 0,2 fois la puissance. 
Malgré une multiplication par 120 de la puissance de production, on passe de 25 KW (une petit moto) à 3 MW en 1900 (10 camions semi-remorque), l’augmentation de l’efficacité s’essouffle et semble buter sur une limite d’environ ~24%.

 

Le pessimiste William Stanley Jevons 

Il lui avait été demandé d’étudier la question du charbon anglais vu sa déplétion et Jevons y répondit dans son livre : « Sur la question du charbon », titre aussi sexy que surprenant. 
Ce livre pessimiste fait état du problème à court-moyen terme d’une Angleterre sans charbon et dépendante des autres pays producteurs dont les USA.

Car oui, la disponibilité d’une ressource énergétique telle que le charbon a, en plus de pouvoir s’épuiser, des implications instructives sur l’efficacité comme nous le verrons dans le prochain article.

 

Ainsi, il est important de se rappeler:

En plus de disposer des ressources nécessaires (charbon, minerai de fer et connaissances), la diffusion d'une technologie dans une société requiert un certain niveau d'investissements. Ladite société doit donc disposer d'excédents suffisant que pour dépasser ce seuil séparant la fabrication de gadgets rigolos d'une révolution de la production générant des excédents assurant sa montée en puissance. Ceci explique bien entendu la Puissance et l'hégémonie historiques de certains Etats (USA, UK, pays européens...) et la faiblesse des autres qui, n'ayant pas eu la possibilité ou la volonté (la patate) d'arriver à ce seuil, ont été privés de leurs excédents au profit des premiers via le colonialisme. "Les riches c'est fait pour être très riches et les puissants très puissants".

Cependant, la rentabilité de toute technologie est limitée par des facteurs physiques. Depuis plus de 20 ans, de nombreuses technologies stagnent : la production d'acier, le rendement des moteurs thermiques des voitures et même l'efficacité du photovoltaïque (>20% depuis les années 1990).

Pour dépasser cette limite, il faut aller vers une autre technologie et un nouveau seuil toujours plus élevé en requérant toujours plus de puissance et d'échanges ayant amener à la mondialisation de notre quotidien.

C'est le principe thermodynamique de l'optimum de puissance de Lokta et Odum qui sera traité plus loin dans cette série car la théorie c'est bien mais dans la pratique, une ressource énergétique, ça s'épuise et c'est ce que nous aborderons dans notre prochain article. 

 

Rubrique de Thomas Norway, spécialiste en systémique de l'énergie.  "Je ne suis pour ou contre aucune technologie, je suis pour la compréhension du problème et l’acceptation démocratique des conséquences de nos choix."

 

Les phrases de la semaine:
"Les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel" Dicton proverbial de boursicoteurs
 “Le réalisme nous plaque au sol, et moi j’aime l’envolée, comme Icare, quitte à chuter comme lui.” Pierre Richard 

 

Dans cette série spéciale "efficience énergétique"

7. Efficacité : vers l’infini et l’extinction : Les dinosaures enfin !

6. Efficacité : au début, c’est pas cher  

5. Efficacité : le coût de la complexité

4. Efficacité : analogies & astronomie amateure

3. Efficacité : Je ne suis pas gros, je suis efficace !

2. Efficacité : moteur, ça tourne… action !

1. Efficacité : oui, mais c'est cher !  Une perte ou un gain ?

 

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