Efficacité : analogies & astronomie amateure
Par Thomas Norway – Dans les deux articles précédents, nous avons vu le principe suivant : l’efficacité de la puissance de transformation d’une machine demande un investissement de plus en plus grand et tendant vers l’infini que cela soit par l’augmentation de la matière composant ladite machine et par la baisse, induite par l’augmentation de l’efficacité, de sa puissance.
Cependant, les explications étaient théoriques et basées sur le moteur thermique. Dès lors voyons d’abord si la théorique se transcrit bien dans la pratique et ensuite si le cas particulier du moteur à explosion peut être généralisé à d’autres machines utilisant d’autres "carburants" tout en se faisant des nœuds astronomiques au cerveau… Si, si, ça va être bien...
Les moteurs du monde réel
Prenons 3 moteurs différents pour illustrer la théorie : voiture, camion et enfin porte-conteneurs géant pour lesquels on reprendra leur puissance en kilowatt (KW), leur efficacité et leur investissement, qui sera leur masse très majoritairement composée d’acier.
Le moteur qui se trouve dans la voiture Volkswagen, 1.9 TDI (diesel) : 2,1 kilos d’acier par KW
Ce moteur de 160 kilos a une puissance de 75 KW ce qui donne un ratio de 2,1 kilos d’acier par KW de puissance (160/75). Il a une efficacité comprise entre 33,7 et 38,8% en régime moteur normal.
Le moteur Volvo D16C610 pour les camions : 2,8 kilos d’acier par KW
Il pèse 1'270 kilos pour une puissance de 450 KW pour une efficacité comprise entre 38,0 et 40,4%.
Et pour finir, le monstre : le moteur Wärtsilä-Sulzer 14RT-flex96C : 28,7 kilos d’acier par KW
C’est le plus gros moteur du monde pesant 2,3 millions de kilos (2'300 tonnes) pour une puissance de 80'000 KW (80 MW) avec une efficacité également record comprise entre 50 et 54%.
Plus puissant, plus efficace et plus coûteux
Tableau récapitulatif en augmentation en % par rapport au moteur de la voiture
On constate que l’efficacité augmente bien avec la puissance mais surtout que l’investissement croît "exponentiellement" en multipliant l’investissement par 13,6 en passant de la voiture au bateau.
Ainsi, le moteur de votre VW est nettement moins efficace que celui d'un bateau, mais le prix d'un moteur de bateau est financièrement exponentiel.
La grosse bête qui monte (pas)
Pour monter en puissance et en efficacité, on s’intéressera aux centrales électriques qui peuvent dépasser le GW (1'000'000 KW).
Les dernières centrales électriques au gaz à cycle combiné peinent à dépasser les 60% d’efficacité et les centrales au charbon ultra-supercritique (c’est le vrai nom et pas celui d’un super vilain de Marvel) dépassent à peine les 50%.
Les moteurs électriques : théorie
En version expresse et simplifiée :
Un moteur électrique fonctionne grâce au champ magnétique généré par du courant parcourant un fil de cuivre (orange) enroulé autour d’un noyau magnétique (bleu).
La perte principale est sous forme de chaleur par effet Joule (l’électricité fait chauffer les matériaux qu’elle traverse).
Pour réduire cette perte, il faut augmenter la section du fil : l’indication en mm² sur les câbles de votre magasin de bricolage préféré (1.5 mm² , 2.5 mm², 4 mm²…).
Comme pour le chauffage de la maison des Jevons du premier article, doubler la section de câble va diviser la perte par 2 mais également doubler l’investissement (le volume de cuivre). Il faut donc un investissement infini pour que la perte soit nulle.
Cependant, augmenter la section pose un problème car le fil prend plus de place qu’initialement alors que le nombre d’enroulements de cuivre (4 ci-dessous) doit rester identique pour éviter une perte de puissance très importante.
Pour que ce volume de fil supplémentaire soit utile, il doit être enroulé autour du noyau magnétique (en bleu) et donc :
Solution 1 : on peut allonger la longueur du noyau magnétique (bleu foncé) ce qui implique un investissement complémentaire mais induit également une perte de puissance due à l’allongement du magnétique (voir formule wiki)
Solution 2 : on peut superposer le fil aux précédents mais comme le fil s’éloigne du noyau magnétique, le champ magnétique diminue (et rapidement) ce qui implique une perte de puissance.
Les moteurs électriques : pratique
Pour un même type de moteur électrique, une augmentation de puissance exponentielle permet d’augmenter l’efficacité
Sur le graphique simple ci-dessus, multiplié la puissance par 10 fait passer l’efficacité maximale de 70% à 80% alors que la multiplier par 100 augmente l’efficacité à 90%.
Traduction : La tendance générale des moteurs hydrauliques et électriques montre que la densité de puissance (les KWh par kilos) diminue à mesure que la puissance nominale augmente.
Plus puissant, plus efficace et plus coûteux
Le constat est identique pour les moteurs électriques et le principe énoncé n’est pas invalidé.
Le moteur de l’univers
Ceci est une extrapolation qui m’amuse et m’interpelle car nous allons parler de trous noirs.
Au même titre qu’un soleil, un trou noir est une machine car il s’y déroule des transformations (sub)atomiques et qui dit transformation et machine dit efficacité !
L’autre caractéristique du trou noir est d’être noir car rien n’a l’air d’en sortir. Il n’y aurait donc aucune perte et dès lors celui-ci aurait une efficacité de 100% !
Mais comme nous l’avons vu précédemment, cette efficacité ultime devrait induire une machine infinie alors qu’un trou noir ne l’est pas. Le principe proposé serait donc invalidé … j’étais tristesse et déception.
Sauf qu’en cherchant un peu, on trouve le phénomène de l’évaporation des trous noirs et le rayonnement de Hawking qui impliquent que ledit trou noir a bien une efficacité certes très proche de 100% mais inférieure quand même car quelque chose de difficilement détectable en sortirait quand même.
Il y aurait bel et bien une perte !... je suis joie et bonheur.
Reste la problématique de la puissance qui devrait être très faible car l’efficacité fait baisser la puissance exponentiellement selon les explications précédentes.
Vu la masse très importante des trous noirs, comprise entre 1 million et 1 milliard de millions de fois celle de notre planète, il devrait s’y dérouler un nombre de réactions (sub)atomiques énorme et je n’arrive pas à concevoir ou à visualiser comment une telle machine peut avoir une puissance faible.
A moins, évidemment, de réussir à coller des amendes pour excès de vitesse réactionnelle ou alors… comme la puissance (watt) c’est de l’énergie par unité de temps (joule par seconde), d’avoir le superpouvoir d’influer sur la durée du temps, de faire durer une seconde plus longtemps.
Eh bien justement, Einstein et sa relativité restreinte nous indiquent que la gravité influence la durée du temps et donc que la masse immense des trous noirs implique une très forte gravité qui va modifier l’écoulement du temps.
Donc comme dans l’excellent film Interstellar, le temps à proximité ou dans un trou noir s’y écoule (nettement) moins vite.
Dit autrement, pour un observateur extérieur éloigné comme Hawking, Einstein ou votre boulanger et pour qui le temps s’écoule « normalement », une seconde observée sur le trou noir durerait plus longtemps et la puissance observée serait effectivement (très) faible.
Le principe proposé semble valide dans la pratique et pour tout type de machine ou transformation. Cependant, si quelqu’un trouve un contre-exemple, je serais extrêmement intéressé.
Rubrique de Thomas Norway, artiste en systémique de l'énergie. "Je ne suis pour ou contre aucune technologie, je suis pour la compréhension du problème et l’acceptation démocratique des conséquences de nos choix."
Pour y réfléchir:
"Comparaison n’est pas raison !"
Dans cette série spéciale "efficience énergétique"
7. Efficacité : vers l’infini et l’extinction : Les dinosaures enfin !
6. Efficacité : au début, c’est pas cher
5. Efficacité : le coût de la complexité
4. Efficacité : analogies & astronomie amateure
3. Efficacité : Je ne suis pas gros, je suis efficace !
2. Efficacité : moteur, ça tourne… action !
1. Efficacité : oui, mais c'est cher ! Une perte ou un gain ?