Efficacité : le coût de la complexité
Par Thomas Norway – Dans les précédents articles, nous avions vu le principe suivant : l’augmentation de l’efficacité de la puissance d’une machine demande un investissement de plus en plus grand et tendant vers l’infini. Plus, on veut être efficace, plus le moteur doit être grand, mais plus il est cher.
Cependant, pour faciliter l’explication et afin de procéder étape par étape dans le raisonnement complet, j’avais un peu foefelé mais maintenant on va remettre toutes les frites dans le même sachet à volle pétrole. traduction belge-français : on va remettre tout ça en place à toute allure.
L’investissement, le coût énergétique, est effectivement croissant et tendant vers l’infini. Mais c’est quoi le "coût" en fait ? Qu’est-ce qu’il inclut ?
Le coût du fer et de l’acier
L’efficacité maximum théorique de la production d’acier est de 2,5 KWh par kilo et l’efficacité n’a cessé d’évoluer pour tendre vers celle-ci. On est passé de 17 KWh par kilo dans les années 1960 à 7 KWh dans les années 2010.
Si on ne considère que le coût direct d’un moteur, sa masse d’acier qui est le matériau très majoritaire, le coût d’un même moteur ayant une même efficacité serait moins coûteux en 2010 qu’en 1960, le coût de l’efficacité aurait ainsi diminué.
Ceci est évidemment trompeur car il faut considérer le "coût" du contexte industriel qui a permis de produire de l’acier plus efficacement, le coût indirect, comme nous allons le voir avec une transformation lumineuse.
Fiat lux !
Depuis la nuit des temps, les humains ont cherché à éclairer celle-ci de manière de plus en plus sophistiquée et efficace. De la bougie jusqu’aux ampoules LED, en passant par les filaments de carbone et les vapeurs de mercure, l’efficacité lumineuse est passée de moins de 1 lumen par watt à 150.
L’efficacité énergétique a été multipliée par plus de 150 !
En ce qui concerne la complexité, la bougie ou la lampe à huile nécessitent des matières premières approximativement disponibles partout : de la graisse, une chemise bleu trop classe, de la fibre animale ou végétale et de l’argile. Et donc approximativement tout le monde pouvait en fabriquer de bout en bout avec peu de connaissances ou compétences.
Ensuite, la flamme a été mise sous verre et le carburant dans des contenants métalliques : la production de lumière s’est professionnalisée.
Déjà, souffler du verre ou forger du métal, c’est tout un métier dont l’apprentissage et la maitrise vont demander un investissement conséquent en temps et en énergie que cela soit directement car il faut nourrir l’apprenti et le feu ou indirectement pour les matériaux, le matériel et le bâtiment adapté, car oui, fondre du verre chez soi est une mauvaise idée selon mon assureur, mon médecin et mon épouse.
Ensuite, avoir une mine de cuivre ou de fer dans son jardin est aussi courant qu’une carrière de sable dans son salon. Et enfin, il faut moult transports pour les matières premières, produits intermédiaires ou finis. Là, vous commencez probablement à percevoir toute l’agitation et l’énergie « cachée » derrière un objet simple.
Pour le fun et dans l’esprit de cet article, une vidéo Ted instructive.
Avec le temps, plus personne ne pouvait produire seul cette technologie efficace et ça ne s’est pas amélioré avec l’industrialisation des ampoules à incandescence ou la robotisation de la production d’ampoules LED qui ont induit une consommation d’énergie aussi importante qu’invisibilisée par la mondialisation.
Donc, le coût énergétique (l’investissement) dont je parle dans cette série d’article est le coût complet composé des coûts :
• Directs : l’objet en lui-même (graisse, métaux, plastiques, électronique…)
• Indirects : ce qui a permis de le fabriquer (usines, automates, connaissances, contrôle ou encore purification).
Car pour s’éclairer, on est passé de quelques éléments (métal, verre), de composition chimique grossière ou approximative, à l’utilisation d’une bonne partie du tableau périodique des éléments (or, plomb, antimoine, gallium, arsenic, cérium…) dont la composition chimique est extrêmement précise et contrôlée, amenant les unités de production à ressembler à des salles d’opération stérilisées.
Moteur : du fer à l’aluminium
Les blocs moteur en fonte (de fer) sont de plus en plus remplacés par des alliages d’aluminium afin d’améliorer l’efficacité des moteurs mais également de réduire le poids du véhicule.
Cependant, l’aluminium a un coût énergétique supérieur à celui de la fonte. De plus, ce coût énergétique est majoré car dans un moteur on n’utilise pas un "bête aluminium" comme l’explique Patrick Hairy, responsable de l’activité Métallurgie et Élaboration au Cetim - Centre technique des industries mécaniques :
"L’aluminium de type AlSi9Cu3 présente cependant des risques de problème de fluage au-dessus de 250°C sur certaines zones de moteur. L’ajout d’éléments (Ni, …) qui doperaient les propriétés à chaud pourraient constituer une solution technique avec un surcoût sur le bloc. Pour les procédés de production de blocs-moteurs en moulage gravité, de la même manière, des alliages de type AlSi7MgCuNiFe pourraient apporter des gains en tenue à chaud. Il est également possible de repousser un peu la température « de fluage » en créant des dispersoïdes Al3X (X=Ti, Zr, Co, V, …)."
Refroidissement et turbo
Avant, le moteur était refroidi à l’air et il se sentait seul et triste sous le capot.
Mais avec le refroidissement liquide, on y a ajouté des tas de pièces, pompes, tuyaux et autres sondes et depuis lors, il y a de l’ambiance !
Pour faire bouger la salle, on y a invité DJ Turbo.
Le turbo est une turbine, un moteur complémentaire couteux et exigeant qui va récupérer la chaleur inutilisée des gaz d’échappement. Ceux-ci ont un potentiel plus faible car leur température est plus faible que celle de l’explosion initiale dans le cylindre ; et qui dit potentiel plus faible dit coût plus important pour en extraire de l’énergie efficacement.
Tout d’abord, le turbo a une vitesse de rotation 1.000 fois supérieure à celle du moteur et cette vitesse implique des alliages couteux et complexes afin de garantir une durée de vie décente.
Ensuite, le public étant maintenant chaud bouillant, il faut y adjoindre un système complémentaire de refroidissement : l’intercooler.
Enfin, qui dit plus d’air, dit plus de carburant, dit plus haute température et pression à l’explosion. Autrement dit, le moteur doit être renforcé, en impliquant un coût plus important afin de garantir une durée de vie décente. Dans le cas contraire, la durée de vie de ce moteur survitaminé serait (fortement) réduite.
Tout gain de puissance ou d’efficacité se paye d’une manière ou d’une autre et comme dirait Milton Friedman : "Il n’existe pas de repas gratuit"
Dura physica sed physica !
Plus c'est efficace, plus c'est cher
Le coût énergétique, l’investissement, est tout d’abord celui que l’on voit, que l’on peut toucher directement ; mais également tout ce qui est caché derrière celui-ci, le coût indirect, le cumul des centaines d’actions, de traitements, de connaissances, de déplacements, de contrôles ou d’assemblages qui ont permis qu’une machine ou un objet existe.
Et donc je corrige le principe rappelé en introduction : L’augmentation de l’efficacité de la puissance de transformation d’une machine demande un investissement de plus en plus grand et tendant vers l’infini que cela soit par l’augmentation du coût énergétique complet de ladite machine ou par la baisse induite de sa puissance.
Rubrique de Thomas Norway, spécialiste en systémique de l'énergie. "Je ne suis pour ou contre aucune technologie, je suis pour la compréhension du problème et l’acceptation démocratique des conséquences de nos choix."
"La plus grande partie de l'ignorance peut être vaincue. Nous ne savons pas parce que nous ne voulons pas savoir." Aldous Huxley
Dans cette série spéciale "efficience énergétique"
7. Efficacité : vers l’infini et l’extinction : Les dinosaures enfin !
6. Efficacité : au début, c’est pas cher
5. Efficacité : le coût de la complexité
4. Efficacité : analogies & astronomie amateure
3. Efficacité : Je ne suis pas gros, je suis efficace !
2. Efficacité : moteur, ça tourne… action !
1. Efficacité : oui, mais c'est cher ! Une perte ou un gain ?