Avec l'Ukraine, Trump rebrasse les cartes de l'énergie mondiale
Partie 2/3 : Après le "Drill baby drill" exprimant l’urgence énergétique nationale des Etats-Unis et leurs prétentions appuyées sur le Groenland et le Canada, ce n’était qu’une question de temps pour que Donald Trump ne dévoile un nouvel étage de son plan.
L’appel téléphonique du président américain à Vladimir Poutine a résonné dans toute l’Europe. Au-delà de la guerre en Ukraine et ses dizaines de centaines de milliers de soldats morts ou de la potentielle déportation de 2,4 millions d’habitants de Gaza, la realpolitik américaine devient sans limite et exige un rapprochement stratégique vers la Russie.
L'Arabie Saoudite, son pétrole, ses pétrodollars
La Maison-Blanche ne peut pas laisser le plus important grenier mondial d’énergie et de minerais russes aux mains de la Chine. Elle a ainsi annoncé l’ouverture de négociations sur la guerre en Ukraine avec la nécessité de rétablir les flux d’énergie et de minerais stratégiques vers les Etats-Unis en diminuant la part dévolue à Pékin.
Il n’y a pas de signal plus évident que le choix de la pétrolière Arabie saoudite pour abriter les retrouvailles entre les deux pays. De plus, le Saudi Arabia Public Investment Fund (PIF), le fond d'investissement d'Arabie Saoudite, organise un sommet pour les investisseurs en Floride, sur les terres de Donald Trump. D'ailleurs celui-ci sera personnellement présent à la FII PRIORITY Miami 2025.
Lors du combat de boxe Mike Tyson - Jake Paul, en novembre dernier, Yasir Al-Rumayyan président de ce fonds d'investissement de l'Arabie Saoudite, était assis aux côtés de Donald Trump et Elon Musk.
L'armée russe n'est plus une menace pour Washington
Le rapprochement est d’autant plus logique pour les Américains que l’armée russe a démontré ses failles et son incapacité chronique à faire reculer des soldats ukrainiens pourtant fatigués, sous équipés et nettement moins nombreux.
Le terme de puissance militaire russe ne repose plus que sur son arsenal nucléaire. Son armée est dans un tel état qu’elle n’est plus identifiée comme une menace par Washington.
Les hydrocarbures de schiste américain en pic
De plus, les gisements de pétrole et de gaz de schiste américains arrivent à leur niveau maximal et leur extraction devrait atteindre un plateau avant la fin du mandat du président Trump.
Extraire le restant de schiste ou d’offshore va être plus onéreux et les quantités seront moindres.
La croissance pétrolière arrive à son terme et les acteurs majeurs que sont les Etats-Unis, la Chine et l’Inde ont commencé à se battre pour ce qui en reste. Les liens tissés avec les pays extracteurs deviennent hautement stratégiques et Xi Jinping a démontré une maîtrise parfaite de ce dossier car on ne peut parler puissance militaire et financière, ainsi qu’intelligence artificielle, sans parler d’énergie. (Lire la Part 1/3 La Chine veut garder ses technologies face aux droits de douanes)
La pression de la Chine grâce à son mix energétique
Si les Etats-Unis sont devenus le plus grand producteur de pétrole du monde, les ressources pétrolières internes chinoises sont moindres.
L’omniprésence de Pékin au Moyen-Orient s’explique tant l’Arabie saoudite, l’Irak et l’Iran sont des partenaires cruciaux.
Grâce à la guerre en Ukraine, le président Xi Jinping a pu rediriger le flux de gaz méthane et de pétrole russe de l’Europe vers son territoire. Tant Moscou que Téhéran ont pu compter sur cette manne financière chinoise pour continuer à alimenter leurs économies et éviter l’effondrement.
De plus, Pékin a diversifié ses sources d’énergie et d’électrification de son économie. Le pays est devenu incontournable dans les batteries, l’éolien, le solaire ou la fabrication de véhicules non thermiques.
Sur ces terrains, Trump sait qu’il ne sert à rien de courir après ce retard technologique. Peut-être qu’une disruption via l’intelligence artificielle ou la fusion nucléaire ouvrira des perspectives nouvelles.
D’ici là, les hydrocarbures restent les pièces maîtresses.
La stratégie européenne énergétique en mode autodestruction
Contrairement à Bruxelles, Washington et Pékin anticipent le rôle majeur de l’énergie comme arme d’influence, de puissance militaire et de développement technologique dans les années à venir.
A contrario, les stratégies énergétiques de l’Europe sont de véritables leçons d’autodestruction.
Pauvre en hydrocarbures et en minerais, elle a délaissé le Moyen-Orient et la Russie. En position délicate, le Vieux-Continent paie des prix forts pour accéder au gaz méthane et son électricité coûte trois fois plus cher qu’en Chine ou aux Etats-Unis.
A la suite des annonces américaines sur l’Ukraine, hésitant entre choc, déni et colère, quelques dirigeants européens sont en train de comprendre la systémique mondiale qui est en train de se jouer.
Certains ont déjà repris langue avec la Russie pour accéder à nouveau au gaz russe. En un seul coup de téléphone, Trump aura rebrassé les cartes de l’énergie mondiale.
Cet article a été publié dans le journal Le Temps. Cette publication est la version longue. Il fait partie d'une trilogie sur les négociations géopolitiques menées par les Etats-Unis et la Russie.
Partie 1: La Chine veut garder ses technologies face aux taxes douanières