Canada ou Groenland: absurdité ou stratégie nécessaire de Trump?
Les annonces de Donald Trump, en vue d’acquérir les terres du Groenland ou de faire du Canada le 51e Etat des Etats-Unis, interpellent ou font sourire. Est-ce une absurdité de plus à laquelle le monde devra s’habituer durant les quatre années à venir?
En réalité, elles signalent surtout que le président américain est très ancré dans la réalité et fera tout pour réussir sa mission de maintenir le rôle de leader des Etats-Unis devant la Chine.
L'économie a besoin des énergies fossiles
Le système économique mondial fonctionne essentiellement grâce à l’injonction d’énergies fossiles comme le gaz méthane, le charbon et le pétrole, et aux minerais indispensables à nos batteries, nos infrastructures et aux puces de nos ordinateurs.
On pourrait espérer que les énergies renouvelables puissent apporter une configuration différente, mais le solaire ou l’éolien ne sont, en réalité, que des produits dérivé, qui nécessitent une grande quantité de charbon, de gaz et de pétrole.
Aciers, lithium, cuivre, terres rares ou uranium sont devenus des composants essentiels pour maintenir un leadership mondial. Ces minerais et ces énergies, qui se trouvent dans des endroits très ciblés sur notre planète et deviennent des greniers qui sont la cible des Etats-Unis et de la Chine.
Avec la résurgence du protectionnisme et de l’abandon du libre-échange, chaque forteresse va devoir s’auto-assurer un accès à ces ressources essentielles.
Des greniers à minerais et énergies : cibles privilégiées
Parmi les greniers les plus importants, le Groenland possède de larges quantités de terres rares, essentielles tant à la motricité électrique qu’à la transition énergétique.
De son côté le Canada est un grenier stratégique d’importance avec ses mines d’uranium, son électricité hydraulique et son pétrole bitumineux. Tous ces composants entrent dans l’équation du développement potentiellement destructeur mais inexorable de l’intelligence artificielle.
Sans l'accès à ces ressources, les Etats-Unis seraient fortement pénalisés. Les livraisons d'électricité atteignent New York, Chicago et les grandes villes de l'Est. Les centrales nucléaires américaines fonctionnent grâce à l'uranium de son voisin du nord et le très riche pétrole bitumineux canadiens est nécessaire pour raffiner du diesel pour les trucks américains.
Amérique Latine au Moyen-Orient
L'Amérique latine est aussi une cible. Depuis la découverte de gisements importants de pétrole, le Guyana a vu débarquer les Américains d’ExxonMobil qui ont raflé la mise.
L’Inde, par la voix de son premier ministre Modi, a aussi fait savoir qu'elle aimerait y être invitée. On ne parle même pas du Venezuela, pays voisin du Guyana qui regorge de ce même pétrole brut.
Le lithium et le cuivre du Chili, le pétrole de l’Argentine et du Brésil complètent la liste.
En Eurasie, le Kazakhstan, avec ses capacités gazières et ses réserves d’uranium, attire toutes les convoitises.
Grâce à la guerre en Ukraine, l’énorme grenier russe est tombé dans les mains de Pékin. En plus des énormes quantités de gaz-méthane et pétrole très bon marchés, la Sibérie possède des richesses sous forme de minerais pour la transition énergétique et la Russie a un pied dans le 50% des réacteurs nucléaires au monde.
Enfin au Moyen Orient, le cœur du pétrole mondial. Il n'est pas surprenant que les Etats-Unis portent à bout de bras la création du «Grand Israël», vieux rêve de l’extrême droite israélienne, encore impossible il y a quelques années, mais qui leur permettra de garder un solide ancrage dans cette région stratégique et leur garantira un accès au gaz et au pétrole. La grande inconnue réside dans le destin de l'Iran dont les ressources gazières et pétrolières sont, pour l'instant, sous la protection chinoise et russe.
Les démocraties se sont fragilisées par la frénésie des réseaux sociaux
De son côté, l’Europe n’a pas vu le virage arriver.
De par son activité colonialiste, elle avait pris l’habitude de se reposer sur son aura, sur ses lumières, ses partenariats historiques et ses capacités financières pour lui garantir l’accès à ces ressources cruciales.
Mais, avec l’arrivée de la Chine, depuis plus de 30 ans, elle s’est fait, petit à petit, pousser hors de l’Afrique et surtout du Moyen-Orient.
Tant pour son pétrole, son uranium que pour son gaz-méthane, elle a dû se résigner à compter principalement sur le grenier russe. La suite est connue. Le réveil est d’autant plus brutal que les politiciens du vieux monde se sont donné le mot pour paralyser, pratiquement en même temps, les gouvernements de la France, de l’Allemagne et de l’Autriche.
Il est vrai que les démocraties se sont fragilisées par la frénésie des réseaux sociaux et les bulles dans lesquelles les citoyens se font enfermés. De plus, les démocraties européennes peinent à réagir aux coups de boutoir du bras droit de Trump, Elon Musk.
Choisir son camp
Même avant son arrivée officielle, le nouveau président n’a donc pas attendu pour commencer à marquer son territoire.
Canada et Groenland ne sont que deux premières banderilles qui peuvent paraître hors de propos.
Il reste que le message délivré aux principaux greniers du monde est clair. Pour garder leur place de leader mondial, les Etats-Unis auront besoin de grandes quantités d’énergies et de minerais et tous les moyens vont être bons.
Article publié dans le journal Le Temps, le 9 janvier 2025 : Le Temps.ch