La Banque Nationale Suisse joue à Goldman Sachs

Myret Zaki - Blick.ch : La Banque nationale a perdu en 2 ans plus que ce qu’elle a gagné en 15 ans. La BNS a également perdu gros en jouant sur le pétrole et le gaz de schiste ainsi que le charbon américain. Selon Myret Zaki, la grande muette prend trop de risques. Alors soit la BNS gère activement ses risques, soit elle les réduit. Mais prendre trop de risques et rester passive ne va pas !

 

140 milliards de pertes en deux ans, soit 17% de ses investissements

Connaissez-vous le film «Joue-la comme Beckham»? Eh bien on pourrait imaginer un nouveau film, «Joue-la comme Goldman». Avec cette fois la BNS dans le rôle principal. En effet, notre Banque nationale suisse se prend pour Goldman Sachs, le talent en moins. 

Elle a perdu près de 140 milliards de francs en deux ans (€150 milliards) sur ses placements en dollars et en euros. C’est plus que tout ce qu’elle avait gagné en 15 ans.

Et perdre 140 milliards sur un portefeuille d’environ 800 milliards, ce n’est pas rien, c’est 17% du total. Une bonne partie des pertes, près de 40 milliards, était investie en actions américaines et notamment en valeurs technologiques très volatiles.

 

Choisir des actifs sans risque

Pourquoi cela pose-t-il problème? Parce qu’une banque nationale, détenue à 80% par les cantons et les banques cantonales, n’est pas censée s’exposer à des marchés risqués. Son but n’est pas de jouer au casino, mais uniquement d’affaiblir le franc suisse.

Pour ce faire, elle vend des francs suisses contre des euros et des dollars pour faire baisser la monnaie helvétique et favoriser la compétitivité des exportateurs suisses. Au lieu de faire des paris en bourse, elle pourrait simplement parquer ses euros et dollars dans des actifs peu risqués, de type cash ou obligations d’Etat, avec pour objectif de préserver la valeur. 

 

Investissement le pétrole, le gaz-méthane, le charbon

Or la BNS a choisi d’investir une part non négligeable en actions.

Son portefeuille américain a culminé à près de 180 milliards en 2022, soit 20% à 25% du total, ce qui représente un niveau de risque inadapté à l’activité d’une banque nationale. L’indice Nasdaq a en effet connu un yoyo vertigineux, gagnant 135% en 2020-2021, pour chuter de 35% en 2022.

Cette volatilité n’est pas étrangère à la politique trop interventionniste des autorités américaines: taux d’intérêt baissés à 0% en 2020 puis remontés à 5%, injection jamais vue de 5000 milliards sur les marchés dès 2020 puis brusque resserrement dès 2022.

 

Savoir sortir avant le krach

Lorsqu’on s’expose au yoyo de ces marchés administrés, un des moyens de survie est de savoir «timer» le marché: savoir quand acheter, mais aussi quand vendre. En d’autres termes, il faut gérer activement son placement. C’est ce que fait par exemple assez bien une banque comme Goldman Sachs. Elle achète, prend la hausse, puis s’arrange pour sortir à temps, avant le krach. Elle parie sur les hausses, mais elle parie aussi sur les baisses. Dès lors, elle peut gagner dans les deux sens. 

Rien de tel pour la BNS, qui se contente d’acheter, puis d’attendre passivement, se retrouvant à la merci d’une brusque correction du marché. Quand le marché monte, tout va bien. En 2021, la BNS était assise sur des réserves de plus de 100 milliards grâce à la hausse du marché, et on débattait de combien elle allait donner aux collectivités suisses. Mais quand le marché a baissé, les réserves pour distributions futures se sont entièrement volatilisées et les collectivités verront des années sans aucun versement de bénéfices.

 

BNS, CS, UBS vs Goldman

Goldman Sachs, comme on l’a dit, sait sortir avant les chutes de marché, et s’est démarquée à la fois de la BNS, d’UBS et de Credit Suisse.

Par exemple, en 2020, Goldman, Credit Suisse et d’autres ont prêté de l’argent à un fonds spéculatif nommé Archegos, afin qu’il puisse spéculer sur des titres technologiques. Les banques détenaient les titres en son nom. Les titres ont chuté, et le fonds a fait faillite en mars 2021. Goldman Sachs a pu liquider ses parts à temps, mais Credit Suisse y a perdu 5,5 milliards de dollars, signe avant-coureur de sa future débâcle. 

Autre exemple, en 2008, quand UBS avait perdu 50 milliards sur le marché des subprime, Goldman y avait gagné des milliards, en sortant à temps de ces crédits immobiliers pourris.

Au printemps 2007 déjà, Goldman pariait sur l’effondrement du marché subprime quand UBS accumulait encore ces titres. Dès 2006, Goldman a vendu ses propres positions subprime à ses clients. Des positions qui n’étaient qu’à un cheveu du défaut de paiement, mais les clients acheteurs n’en savaient rien. Goldman a encaissé une première fois quelques milliards sur cette opération. Puis, non contente de cela, la firme a ensuite parié massivement contre les positions de ses propres clients, et donc contre les titres qu’elle venait de leur refourguer. Lorsque le krach est survenu mi-2007, les paris de Goldman Sachs ont une seconde fois rapporté des milliards. 

Grâce à cette démoniaque virtuosité, la banque a dégagé 11,4 milliards de dollars de profits en 2007, au moment même où UBS annonçait la perte la plus élevée de son histoire, car elle était restée exposée jusqu’au bout aux subprimes que Goldman avait déjà vendus, puis revendus ! La BNS, elle aussi, est restée exposée aux actions alors qu’elle aurait pu anticiper la hausse des taux (abondamment pré-annoncée) et réduire petit à petit son exposition au marché.

 

Entre passivité et speculation, il faut choisir

On pourrait répondre que la BNS n’a certainement pas à «timer le marché» et à faire du trading actif, et qu’elle peut tout à fait rester passive, car elle finira par regagner sur le long terme le terrain perdu. Après tout, c’est ce que font de gros fonds de placement et fonds indiciels, comme ceux de BlackRock, l’autre géant new-yorkais, qui se contente souvent de rester investi passivement.

La BNS n’aurait donc qu’à rester investie dans le marché, jusqu’à ce que ses actions remontent, et tout ira bien. Puisqu’à long terme, n'est-ce pas, la bourse monte toujours. Sauf que non. 

Tout d’abord, la BNS ne se contente pas d’investir dans des indices relativement stables comme le Dow Jones, mais elle s’est surexposée aux big tech.

Elle a aussi pris un pari surprenant, en 2015, sur les startups du pétrole et gaz de schiste en investissant pour 2 milliards de dollars dans 58 entreprises du secteur, hautement spéculatives et polluantes, qui ne figuraient pas dans les grands indices. Seuls les hedge funds et les fonds de private equity osaient s’y risquer. Entre 2014 et 2015, la BNS y a enregistré des pertes, mais elle a encore racheté des positions, avant de perdre en tout 1 milliard suite à plusieurs faillites.

 

La question clé de la crédibilité

Ensuite, la BNS, contrairement à des fonds de placement privés, représente l’argent national suisse. Elle ne peut donc pas s’exposer à des marchés risqués et attendre passivement que ses fonds propres soient mangés par les pertes. Soit, elle prend des risques et les gère activement, soit elle investit sans risque et reste passive. Mais ce mix des deux auquel elle se prête n’est pas soutenable. La prise de risque excessive est vouée à générer des sous-performances excessives. 

C’est ainsi que la BNS doit puiser dans ses fonds propres pour éponger ses pertes, et qu’ils ont fondu de 200 milliards à 63 milliards entre 2021 et 2022. Avoir seulement 7-8% de fonds propres n’est pas très bon pour la crédibilité du franc suisse, ni pour la crédibilité de la BNS en tant qu’institution de dernier ressort, qui elle-même est censée renflouer les banques suisses.

N’oublions pas que c’est la BNS qui, en mars dernier, quand Credit Suisse était au bord de la faillite, a avancé plus de 200 milliards de liquidités en quelques jours pour stabiliser le système financier jusqu’au rachat de la banque aux deux voiles par UBS. Bref.

Joue-la comme Goldman Sachs, ou reste chez toi.

 

Article publié dans le journal Blick, avec l'aimable autorisation de Myret Zaki

 

Lire le dossier complet sur la Banque Nationale Suisse et ses investissements dans le pétrole et gaz de schiste aux Etats-Unis. Laurent Horvath a été à la base de ces découvertes d'investissements en 2014.

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