Le Père Noël sauvera-t-il le pétrole?
La fin d’année pétrolière est à l’image de 2022, pleine de surprises. L’Europe se passe du pétrole russe livré par bateaux, les pays du G7 appliquent un prix plafond pour l’achat de pétrole russe et l’OPEP refuse d’augmenter ses quotas d’extractions. En temps normal, une seule de ces trois décisions a le potentiel de faire chavirer l’équilibre précaire du pétrole. Cette configuration est aussi inédite qu’imprévisible.
Afin d’affaiblir les ressources financières de Moscou, l’Europe et les pays du G7 ont instauré un plafond à 60 dollars pour l’achat d’un baril russe.
Moteur de ce plan, Janet Yellen, secrétaire américaine au Trésor, compte sur ce mécanisme pour diminuer les revenus de Vladimir Poutine et influencer la guerre en Ukraine, tout en préservant la quantité de pétrole disponible sur les marchés.
De son côté, la Russie a déclaré "qu’elle ne livrerait plus de brut aux pays qui appliqueront ce plafond et que sa mission en Ukraine ne sera pas freinée." La recherche de nouveaux clients est lancée.
Les tradeurs et financiers: grands gagnants
A l’aube de Noël, le cadeau est merveilleux pour les traders et les pétroliers qui vont générer de faramineux bénéfices grâce à des stratagèmes de contournement de l’embargo.
En effet, par un design voulu par Bruxelles, le pétrole russe pourra quand même être acheminé en Europe mais en transitant par un pays tiers comme la Chine ou l’Inde, qui s’octroieront une partie de la marge, ce qui diminuera d’autant les rentrées financières du Kremlin.
A cet égard, Moscou a acheté plus de 100 tankers pétroliers d’occasion afin que cette flotte de navires fantômes contourne les garde-fous imposés par l’Occident. Cependant, même en jouant à cache-cache, la Russie pourrait voir ses exportations diminuer de plus d’un million de barils par jour. Sur un marché aussi tendu, ce manque peut faire basculer les cours.
L'OPEP, la peur de se voir cibler par les Occidentaux
Dans les calculs de Bruxelles, une variable a le potentiel de contrecarrer ses plans. A l’image des vins, tous les pétroles ne se valent pas.
Si la légèreté du schiste américain convient à la production de plastique, la richesse du brut russe ou du Venezuela permet de raffiner le précieux diesel, essentiel au transport des marchandises à travers le monde.
Alors que les Américains poussent les Européens dans une impasse, Washington vient de lever une partie des sanctions contre le Venezuela et a donné la mission à Chevron, son géant pétrolier, de rapatrier le brut lourd dans les raffineries américaines.
Ce tableau ne serait pas complet sans les pays exportateurs de pétrole. L’OPEP a décidé de ne pas augmenter les extractions pour compenser le manque russe et de ne pas entrer dans le mécanisme proposé par les Occidentaux.
Le cartel se donne jusqu’en février pour réévaluer la situation et voir comment s’en sort Vladimir Poutine. Il se murmure qu’une hausse du baril entre 90 et 100 dollars pourrait être bienvenue, alors que la récession qui semble de plus en plus probable fera chuter les cours.
La grande crainte de l’OPEP réside dans l’arme de plafonnement tarifaire contre la Russie. Elle pourrait facilement se retourner contre le cartel lui-même ou contre n’importe lequel de ses membres. Tenir le couteau par le manche n’est pas négociable pour les pays exportateurs car il est essentiel de maximaliser les revenus financiers de toutes les gouttes de pétrole qu’il reste dans les sols.
Il manque des investissements pour le remplacement des gisements en bout de vie
Au-delà de ces décisions, la stratégie occidentale donne un signal aux pays extracteurs de pétrole et aux investisseurs: réaliser le maximum d’argent pendant qu’il en est encore temps. L’exploration censée remplacer les gisements qui s’épuisent n’entre plus dans l’équation financière.
A ce rythme, le monde pourrait, bien plus rapidement que prévu, se trouver devant le peak oil (pic pétrolier.) Ces effets papillons institués pour affaiblir économiquement et politiquement la Russie ont le potentiel de déstabiliser les marchés mondiaux de l’énergie.
Pour les semaines qui viennent, il est urgent d’attendre et de voir l’évolution de la situation, d’autant qu’une nouvelle bombe éclatera début février, quand l’Europe se passera du diesel russe.
Peut-être que d’ici là, le Père Noël apportera la paix sur la Terre et plein de cadeaux aux dirigeants sages.
Article publié dans le journal Le Temps