Branle-bas de combat dans le pétrole
Les vagues de décisions économiques du gouvernement Trump ont atteint de plein fouet l’industrie pétrolière mondiale. Depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau président, à New York le baril a quitté la zone des 70 dollars pour flirter avec la barre des 60.
Les signes de stagflation ou de récession menacent la demande d’hydrocarbures alors que les gisements américains de schiste montrent des indices d’épuisement.
L'OPEP augmente sa production
Profitant de cette instabilité, l’OPEP +a décidé d’ouvrir les vannes et d’ajouter plus de pétrole sur les marchés. Tout semble indiquer un brassage des cartes dans cette industrie où tous les coups vont être permis pour garder sa place.
Les banderilles sont en train d’être plantées tant du côté des pays extracteurs que des majors pétrolières privées comme BP, Shell, ExxonMobil, Chevron, Eni ou Total.
Les producteurs nationnaux
Du coté des pays, rappelons que le rôle des compagnies nationales est de générer assez de bénéfices pour alimenter les budgets des gouvernements. Pour les nations membres de l’OPEP, ces revenus représentent la majorité de leurs rentrées financières. A ce niveau, la lutte pour les parts de marché a le pouvoir de sceller le destin d’un pays. Le Venezuela, l’Egypte ou la Syrie ont tous dépassé leur pic d’extraction et la baisse de leurs revenus induit une chute économique inexorable.
Depuis deux ans, Riyad et Moscou ont réduit volontairement leurs exportations afin de maintenir un prix cible du baril aux alentours de 75 dollars, de façon à générer assez de cash pour financer leurs budgets respectifs. L’Arabie saoudite a diminué ses exportations de 2,2 millions de barils par jour. A ce petit jeu, les producteurs américains, et certains membres de l’OPEP+, comme le Kazakhstan et l’Irak, ont joué les passagers clandestins, en profitant pour augmenter sensiblement leurs extractions, ce qui irrite fortement certains autres membres.
Alors que la guerre en Ukraine semble se diriger vers une résolution, Moscou va bientôt se retrouver en capacité de se contenter de revenus pétroliers plus modestes. Ainsi, les deux leaders de l’OPEP+ espèrent rebrasser les cartes pour le long terme et augmenter leurs parts de marché en mettant au pas les producteurs américains et les pays rebelles.
Les compagnies privées, aux abois pour trouver des gisements rentables
Les majors pétrolières privées se retirent des énergies renouvelables
De leur côté, avec une part de marché inférieure à 20%, les majors pétrolières et gazières privées, se battent pour un accès aux derniers gisements rentables alors que les 200 milliards de dettes cumulés commencent à peser sur leurs bilans. Après le choc post-covid, les pétroliers européens avaient entamé des réflexions sur leur positionnement dans le marché, envisageant une transition de leur business fossile vers un mix de carburants et d’électricité à base d’énergies renouvelables. La vision portait sur un changement de paradigme avec une migration du rôle de pétrolier-gazier à celui de fournisseur d’énergie.
Aux Etats-Unis, une vague de fusions a vu Chevron et ExxonMobil cannibaliser leurs concurrents dans les gisements de schiste. Avec des besoins financiers énormes, les entreprises américaines comptent uniquement sur les hydrocarbures pour répondre à leurs besoins de cash. De plus, la stratégie de la Maison-Blanche du tout pétrole leur garantit le maintien de ce marché essentiel.
Cette stratégie d’optimum de revenus est en train de déteindre sur leurs concurrents européens. BP et Shell se retirent des énergies renouvelables pour revenir à leur ADN de base. Noyées sous les dettes, elles veulent éviter de devenir des proies faciles. Les regards sont actuellement rivés sur BP qui pourrait être avalé par un concurrent.
Cannibalisation à venir ?
L’industrie pétrolière entre dans une zone de turbulence, entre des gisements qui s’épuisent et la bipolarisation du monde entre les Etats-Unis et la Chine.
Pour éviter d’être totalement aspirés par l’un de ces deux géants, tant les pays que les majors pétrolières doivent atteindre une taille critique pour résister et faire le poids. Ils le feront soit par des alliances de circonstances soit par des fusions. Les transformations profondes n’affectent pas que les mondes économiques et géopolitiques.
Dans le pétrole aussi, c’est le branle-bas de combat.
Article publié dans le Journal Le Temps