Allemagne vs France, et à l’arrivée, tout le monde perd
Par Thomas Norway – Dans le précédent article, on a jeté un œil dans le rétro pour voir d’où on venait avec l’historique des prix des énergies mais aussi remarquer que le contexte socio-économique n’était pas à la fête. En effet, les vingt piteuses n’étaient pas très (trente) glorieuses avec l’augmentation du chômage et l’endettement des Etats.
Mais comme diraient beaucoup de gens, "ça ira mieux après !" Alors certes, mais comme "évaluer demain" fait partie du champ des possibles, pourquoi s’en priver ?
Car au même titre que pour une épreuve sportive, les points de départ et d’arrivée permettent d’évaluer le parcours et donc le matériel adéquat ou le type d’entrainement, le système énergétique permet d’évaluer l’avenir des sociétés.
Et donc, se tromper de destination, ça serait quand même :
Rappel : d’où l'on vient ?
Historiquement et encore actuellement d’ailleurs, la majeure partie de notre énergie provient des ressources fossiles. Le prix de celles-ci n’est pas forcément un bon indicateur car il contient du travail, du salaire, des marges, souvent des taxes, mais surtout, une rente de gisement, une rente fossile !
Et cette rente revient en (grande) partie dans les économies ne disposant pas de ces précieux gisements et pouf, ça donne les balances commerciales, ou, exprimé plus simplement : je te donne à gauche et tu me rends à droite.
Le prix moyen des énergies, sur la période 1980 – 2019, en tenant compte de ces mécanismes impliquent les prix des commodités suivants :
Vers quoi l'on va ?
L’estimation des prix pour une économie sans énergie fossile a été réalisée sur une même base que pour les énergies fossiles. A ceci près que l’éolien, le photovoltaïque, les barrages et le nucléaire ne contiennent pas de rente de gisement ou marginalement.
Optimisme, pessimisme et réalisme
La comparaison nous donne :
• Pour l’électricité : une hausse de 15 à 100%
• Pour le chauffage : une hausse de 20 à 100%
• Pour le transport : entre une baisse de 30% et une hausse de 15%
• Pour la chaleur haute température industrielle : une hausse de 150 à 350%.
Pour les citoyens qui consomment peu de chaleur industrielle, les modifications pourraient être contenues voire même rentables en étant optimiste.
Cependant, plusieurs choses à conserver en mémoire afin de prendre ce comparatif avec précaution et sans vouloir être pessimiste :
• La moyenne des prix historiques est surestimée par les trois crises que cette période inclut : fin du second choc pétrolier, éclatement de la bulle internet et crise des subprimes.
• En se concentrant sur la décennie de prix bas et stables de 1987 à 1998, en France, le chômage est passé de 8,7% à 9,9% et l’endettement de 33% à 60% du PIB (source : INSEE)
• Les prix futurs sont théoriques au contraire des prix passés et il est donc plutôt certain que le passage à une industrialisation massive sera imparfaite et semée d’embuches. Ceci implique que les prix futurs seront plus probablement dans la fourchette haute de l’estimation.
• Rêver d’une nouvelle technologie révolutionnaire future n’est pas interdit mais présente le risque qu’elle ne soit pas à la hauteur ou qu’elle ne voie jamais le jour.
Enfin, il faut considérer un élément qui nous concerne fortement mais de loin et on sait tous que "loin des yeux, loin du cœur (du problème)."
La chaleur industrielle permet de faire du verre, du béton, de l’acier et des tas de trucs qu’on retrouve dans l’intégralité des biens et services qui nous entourent. Si ce prix triple, je ne suis pas complètement certain que les prix desdits biens et services ne vont pas légèrement augmenter avec une inflation qui colle aux basques (tout lien avec une guerre incluant un producteur de gaz et pétrole serait purement fortuit).
Car, payer son "carburant" 30% moins cher c’est sympathique sauf si la bagnole qui va avec est impayable… Le coût énergétique de production d’un véhicule est doublé en passant à l’électrique, batteries obligent.
Il faut donc être réaliste et d’autant plus si l’Europe souhaite se réindustrialiser.
ATTENTION
• Le nucléaire ne change pas les principes, il ne fait qu’adoucir un peu la pente tout en générant des risques complémentaires (cf. la chronique à ce sujet).
• Il faut se débarrasser des énergies fossiles si on souhaite collectivement réaliser une transition bas-carbone et conserver une planète habitable pour un maximum d’êtres vivants (et c’est mon souhait) et pour ce faire, les énergies renouvelables sont indispensables mais elles viennent avec des contraintes fortes sur l’économie et il faut absolument en tenir compte.
Premier au mauvais endroit ?
Les concurrents européens fournissent donc des efforts importants pour arriver à la mauvaise destination car le contexte socio-économique sera profondément altéré par la modification du prix des énergies et surtout celui de la chaleur industrielle.
Il faut donc investir rapidement et utilement pour le contexte futur imposé par la physique et non pour un contexte idéalisé et inaccessible et de ce fait :
« Il ne faut pas produire ce que l’on veut mais ce qu’on voudra se permettre ! »
Exemples d’investissements pertinents :
• Transports : infrastructures cyclables, fluviales et ferroviaires
• Urbanisme : immeubles à appartements à taille humaine dans des agglomérations denses de moins de 100.000 habitants
• Énergie : se baser sur la demande future pour éviter des investissements inutiles : production, stockage, interconnexion ou équilibrage
• Production : promouvoir l’artisanat et réindustrialiser en vue de la production de biens et services nécessaires et utiles dans le futur
Collaboration
En se chamaillant pour arriver en tête sans anticiper les changements socio-économiques majeurs à venir, les pays européens risquent de lâcher la proie pour l’ombre en investissant dans ce que l’on désire et pas dans ce dont on aura réellement besoin.
C’est un peu comme se priver de vêtements pour s’offrir un voyage en arctique et y arriver armé de son seul maillot de bain. C’est marrant deux minutes et puis on essaye juste de survivre.
Ou de manière plus sérieuse, comme les moyens physiques sont une ressource finie (pas d’argent magique), plus on en perdra dans des investissements idéalisés (voyage) moins on aura mis de moyens dans des investissements pertinents (vêtements) face aux changements socioéconomiques ou environnementaux en cours et à venir.
Les citoyens se retrouveront alors désemparés avec moins de solutions ou de moyens d’adaptation et, historiquement, le citoyen acculé a tendance à chercher des coupables plutôt que des solutions avec les conséquences que nous connaissons…
En fait, la vraie bonne solution, c’est d’analyser la destination et le chemin à parcourir et sans se tromper ; pour ensuite essayer de s’y rendre en groupe et de manière collaborative.
Hors-série de Thomas Norway, spécialiste en systémique de l'énergie. "Je ne suis pour ou contre aucune technologie, je suis pour la compréhension du problème et l’acceptation démocratique des conséquences de nos choix."
Et pour terminer :
"Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu'il nous prenne par la gorge" Winston Churchill.
« Il n'est pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va » Sénèque