Y a-t-il de l’eau dans le feu ?

De manière synchrone, deux composants essentiels à notre société et notre économie mondiale sont entrés presque simultanément dans une situation de crise: l’énergie et l’eau. Il n’est pas instinctif de relier ces deux ressources qui ont des usages différents.

Si les énergies fossiles symbolisent le feu de l’enfer, la pureté se dégage de l’eau. Cependant, dans ce monde qui s’échauffe, l’un et l’autre pourraient bien être les faces d’une même pièce.

 

Un hiver paisible

Contre toute attente, l’hiver européen s’est déroulé sans grande anicroche malgré une forte inquiétude sur le gaz et la menace d’un black-out électrique.

Même si plusieurs entreprises ont décidé de se délocaliser pour trouver un refuge économique en Asie ou aux Etats-Unis, la performance énergétique du Vieux-Continent aura surpris en bien les gestionnaires de réseaux mais donné des munitions aux partisans du statu quo.

La futilité d’économiser continue d’être un message audible.

 

L'eau et l'énergie

Avec une saison de décalage, c’est autour de l’eau de montrer des signes de crispation avec des pénuries. Si l’eau est un nutriment essentiel qui trace une ligne entre la vie et la mort, elle est également une source qui permet l’extraction de matières premières et la création d’énergie.

Dans l’une des régions les plus arides du monde, l’Arabie saoudite doit injecter de la vapeur d’eau afin de compenser la diminution de pression des gisements et d’extraire le pétrole. Pour désaliniser l’eau de mer qu’il utilise, le royaume consomme presque 1 million de barils par jour d’or noir sur une production totale de dix.

Aux Etats-Unis, deuxième extracteur mondial, un seul forage de gaz ou de pétrole de schiste nécessite entre 250 000 et 1 million de litres d’eau pour effectuer une fracturation hydraulique de roches-mères. A ce rythme, difficile d’imaginer une fin heureuse pour à la fois la consommation des ménages et l’extraction pétrolière.

Plus proche de chez nous, la fraîcheur de l’eau est le poumon qui permet aux centrales nucléaires de ne pas surchauffer et de rester en activité. Près d’un tiers de l’eau consommée en France est dédié aux centrales avec une question lancinante: combien de temps encore y aura-t-il assez d’eau assez fraîche pour les refroidir?

Dans les Alpes, la fonte des glaciers remplit les barrages. Mais plus bas dans les plaines, le constat est différent avec une production d’hydroélectricité qui chute par manque d’eau.

Et que dire du Hoover Dam à Las Vegas qui n’a même plus une goutte pour pleurer ou turbiner.

 

L'agriculture en difficulté

De son côté, l’agriculture a pour mission d’apporter une énergie calorifique à la population. Suivant les règles du commerce international, la sécheresse d’une région peut être comblée par des importations. Il suffit d’indemniser nos agriculteurs pour avoir la conscience tranquille, d’autant que cette nourriture de remplacement doit certainement provenir d’un coin de paradis.

Mais, devant la gravité de la situation, certains pays interdisent l’exportation de denrées alimentaires. Paradoxalement, ces importations par bateaux reposent sur une utilisation intensive de pétrole, qui est lui-même alimenté par l’eau, qui est alimentée par le pétrole.

 

Avec l'eau, l'immobilisme n'est pas permis

Devant l’ampleur de la tâche, les gouvernements sont incapables de prendre des décisions tranchées tant sur le plan d’une transition que sur la gouvernance de l’eau.

Cependant, contrairement à l’énergie qui peut facilement se transporter, s’échanger ou se commercialiser, l’eau reste une production locale et c’est là que les tensions surgissent.

Les Etats-Unis et l’Australie ont osé la vendre en bourse pour faire couler les dividendes alors que le barrage sur le Nil Blanc de l’Ethiopie met en péril l’agriculture de toute l’Egypte. La sécheresse a déterré une rivalité inconcevable, il y a encore quelques années, entre la Suisse et l’Italie pour l’utilisation des eaux du lac Majeur.

La transition énergétique supporte les retards, alors que pour des raisons de survie, l’unique calendrier de l’eau est: aujourd’hui. En raison de son aspect impératif, elle a le potentiel d’ouvrir la voie à des changements.

D’ailleurs n’est-il pas pertinent d’utiliser de l’eau pour éteindre un feu?

 

Article originellement publié dans le journal LeTemps

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