Energie: Un pays peut-il fonctionner en mode dégradé?
Je vous parle d’un temps que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître. La crise pétrolière de 1973 avait poussé certains pays à rationner les carburants alors que le baril approchait les 12 dollars. Certains pays découvrirent les dimanches sans véhicule à moteur avec la possibilité de faire du patin à roulettes sur les autoroutes. Allons-nous revisiter cet épisode?
Le directeur de l’Agence internationale de l’énergie, Fatih Birol, donne un indice: "Dès cet hiver, l’Europe pourrait être obligée de rationner sa consommation d’énergie dont celle du gaz pour son industrie, pendant que la Chine va sortir du covid et que son économie va rebondir et mettre la demande sous pression."
Durant les années 1970, la contagion fut confinée au pétrole. Aujourd’hui, la fièvre s’est emparée à la fois du charbon, du pétrole, de l’uranium, du gaz et de l’électricité. Pour faire face, certains gouvernements utilisent le contrôle des prix ou des chèques énergies, qui ont le potentiel de faire gagner des voix, mais surtout celui de creuser les dettes et d’exacerber les pénuries.
Avant la guerre en Ukraine
Ce contexte inédit a débuté bien avant la guerre en Ukraine. Sa genèse remonte à la chute des prix du baril en 2008. Si, en 2014, 700 milliards de dollars furent injectés pour tenter de remplacer les vieux gisements et de maintenir les extractions pétrolières, ce montant a chuté à 340 milliards en 2021. Sans surprise, la quantité de nouveaux barils découverts est au plus bas depuis 70 ans.
En résumé, il n’y a plus assez d’hydrocarbures et de gaz pour satisfaire la demande.
Cette phase pousse les prix à la hausse et vient chatouiller l’inflation. Alors que les projecteurs sont braqués sur la guerre en Ukraine et l’annexion à venir de Taïwan, de nombreux décideurs politiques n’ont pas encore pris conscience de l’ampleur de la tempête énergétique qui s’annonce. Le débat électoral français le démontre dans toute sa splendeur. Même la Banque centrale européenne peine à capturer l’essence de la situation, alors que l’inflation dépasse les 8%.
Des pays mal préparés
A vrai dire, pour faire face à cette crise inédite, les politiques et les citoyens sont terriblement mal préparés ou peu informés, eux qui ne rêvent que de ciel bleu.
Le nombre de billets d’avion vendus pour cet été tend à démontrer l’insouciance d’un nombre record de cigales. Mais l’histoire montre que le réveil sonne souvent pour remettre les pendules à l’heure.
En automne dernier, la Chine, en manque d’électricité, avait forcé l’arrêt de la production de nombreuses usines pour éviter un black-out. A court de diesel, les camions durent se contenter de 100 litres par jour. En ce moment en Europe, les approvisionnements de diesel et de mazout sont en passe de devenir critiques, sans parler de l’épée de Damoclès que tend Vladimir Poutine sur l’Europe gazière.
Apprivoiser un mode dégradé
Dans ce contexte, de nombreux politiciens jouent à se plaindre que leur jouet est cassé. De gauche à droite, ils offrent des solutions à la hauteur de leur incompréhension des enjeux actuels. Il est particulièrement croustillant de réécouter les arguments distillés à propos de la loi sur le CO2 qui comptaient sur un accès illimité et bon marché au gaz et au pétrole pour alimenter une croissance infinie.
La grande question de cet hiver réside dans la capacité d’un pays à continuer d’avancer en mode dégradé.
Il ne reste que quelques mois pour assurer la résilience énergétique et le fonctionnement, en mode secours, de nos entreprises et de nos institutions. L’ambition est d’éviter l’effondrement temporaire notamment de notre système électrique ainsi que de l’accès à l’eau et à la nourriture.
Pékin a réalisé l’expérience à la dure. Est-il possible de faire mieux?
Les entreprises et le secteur public doivent s’entraîner, dès à présent, à un «crash test» pour ne pas être pris de court et tomber dans une panique contagieuse.
Une gouvernance et les règles du jeu doivent être établies pour l’accès prioritaire à l’énergie. Les citoyens suivront.
Comme en sport, c’est l’entraînement qui mène à la victoire, contrairement aux jérémiades, aux erreurs tactiques ou aux excuses.