Pétrole: La guerre est lancée par la Russie et l'Arabie Saoudite
Les histoires d’amour finissent mal en général, prétend la chanson. En 2016, l’OPEP et l’Arabie Saoudite avait convié la Russie à marier leurs efforts afin de maintenir les cours du pétrole. Vendredi dernier, l’alliance a volé en éclat.
Mis à mal par le coronavirus et une chute de la demande, Ryad avait proposé une réduction supplémentaire de production de 1,6 millions de barils par jour. Moscou a refusé. La scène de ménage a fait dégringoler les cours.
Passager clandestin et Dominance Energétique Américaine
La décision russe s’appuie sur deux facteurs.
Premièrement, alors que l’OPEP et la Russie unissent leurs efforts afin de stabiliser l’offre et la demande, les diminutions de production sont immédiatement compensées par le schiste américain, au point d’en extraire plus de 9,5 millions de barils par jour.
Cependant, cet exploit a un coût. Depuis 2008, Wall Street a déversé plus de 400 milliards $ dans le pétrole de schiste aux USA. Paradoxalement, plus de 200 milliards ont été perdus. In fine, les producteurs ont démontré plus d’aptitudes à extraire du cash que de pétrole. En 2019, l’industrie pétrolière américaine est le secteur qui a émis le plus grand nombre d’actions pourries, ce qui n’est pas sans rappeler la crise des subprimes de 2008.
Deuxièmement, grâce au pétrole et au gaz de schiste, l’administration Trump s’est appuyée sur une doctrine de «dominance énergétique» qui lui permet de sanctionner à tout va, les autres producteurs pétroliers comme le Venezuela, l’Iran et la Russie.
Dans l’incapacité de s’attaquer en frontal, Moscou a stratégiquement tissé sa toile avant de répliquer. Dès 2017, son budget s’est équilibré avec baril à 42$ et le surplus versé dans un fonds qui compte aujourd’hui plus de 150 milliards $.
A l’inverse et à l’image de la cigale, l’Arabie Saoudite espère un baril à 80$ pour financer ses dépenses et sa guerre au Yémen. La décision d’ouvrir totalement ses vannes et d’inonder les marchés avec des prix cassés fait office de déclaration de guerre.
Qui aurait pensé que l’industrie s’autodétruise de l’intérieur et non sous la pression des activistes?
Vers un brassage énergétique et géopolitique
En 2019 aux Etats-Unis, 37 entreprises pétrolières ont fait faillites. La chute actuelle des cours s’ajoute aux échéances de dettes à hauteur de 40 milliards. Moscou a jugé que l’occasion est idéale pour lui porter un coup décisif.
Si la bulle de schiste devait exploser dans les mois à venir, elle aura des répercutions mondiales qui ont le potentiel d’amorcer un tournant énergétique et climatique majeur.
Elle pourrait questionner notre approvisionnement pétrolier. En effet, les découvertes de nouveaux gisements pétroliers sont en chute libre et les investissements d’explorations au plus bas. Déjà avec une baisse de 50% de la production de schiste, les extractions pétrolières traditionnelles ne seront plus capables de couvrir la demande mondiale.
Du côté des institutions financières lourdement chargées d’actifs de schiste, comme certains fonds de pensions ou la Banque Nationale Suisse, elles pourraient saisir cette occasion pour revenir à la raison et, en catimini, camoufler les pertes qui se chiffrent déjà en milliards.
La grande inconnue réside dans la réaction américaine, d’autant que le pays n’a pas encore traversé la vague du coronavirus ainsi que celle de l’élection du prochain président. Celui-ci aura la tâche de remplacer la doctrine de dominance énergétique et de puiser dans les univers de la finance, de la technologie ou militaire pour conserver son leadership.
Quand crise rime avec opportunité
Si ce divorce ne trouve pas une issue à l’amiable, de nouvelles opportunités vont émerger. Couplée avec le coronavirus et la chute des marchés financiers, elle a le potentiel de rebrasser les cartes du jeu.
La crise de 2008 avait permis l’éclosion des énergies renouvelables. Aujourd’hui, une transition effective pourrait émerger. Les coups de yoyo de l’or noir sont à l’image du climat : de plus en plus extrême et de plus en plus invivable.