Le périlleux avenir des compagnies pétrolières
Persister dans son domaine de compétence ou s’aventurer dans un virage inconnu ? Tel est le dilemme des grandes compagnies pétrolières privées. Avec l’émergence des voitures électriques, les camions à hydrogène, les considérations climatiques ou les craintes du pic pétrolier, les nuages s’amoncellent sur les perspectives pétrolières.
Pour la catastrophique année 2020, les ExxonMobil, Chevron, BP, Shell, Total, Eni viennent de publier des pertes records à plus de 60 milliards de dollars alors que cumulées, leurs dettes dépassent les 300 milliards. Du côté des entreprises pétrolières nationales, la situation est encore pire et menace les budgets des pays exportateurs. Pour l’industrie, la grande question est de savoir combien de pétrole ne sera jamais extrait et restera dans le sous-sol.
Cette perspective donne des sueurs froides aux managers et aux financiers. Dans l’immédiat, le baril a pris un ascenseur express à plus de 65$. Il semble bien parti pour grimper encore plus haut, ce qui complique encore plus les prises de décision.
Rester dans le pétrole
Malgré une pression toujours plus grande de leurs actionnaires, les deux géants américains ExxonMobil et Chevron restent droit dans leurs bottes. Ils ne voient leur avenir que dans l’extraction et la commercialisation d’hydrocarbures d’autant que la concurrence a été décimée. De très nombreuses entreprises de schiste ont été terrassées par les secousses du coronavirus et l’effondrement des cours.
L’opportunité réside dans l’acquisition de gisements bradés, ainsi que par une campagne de fusions et d’acquisitions. D’une centaine d’acteurs, il ne pourrait en rester qu’une poignée. Il se murmure même un regroupement entre ExxonMobil et le No 2 Chevron. La probable hausse des prix du baril durant les 3 à 5 années à venir pourrait les réconforter dans leur stratégie. Leurs bénéfices et surtout leurs dividendes seront certainement prodigieux et les investisseurs nombreux. Mais après ?
S’engager dans une transition
A contrario de l’ADN pétrolier américain, le sol européen ne compte qu’une quantité négligeable de gisements souvent en fin de vie. Les compagnies pétrolières du continent hésitent aussi entre le respect de la tradition ou une diversification forcée. Ainsi, timidement et souvent par opportunisme médiatique, les BP, Total ou Shell se mouillent sans trop de mouiller. Elles lorgnent particulièrement vers les énergies renouvelables, l’hydrogène et le stockage d’électricité.
Ces hésitations et ces tiraillements se retrouvent au sein même de leur direction. Plusieurs cadres, en charge des énergies renouvelables au sein de Shell, ont tout simplement démissionné devant leur incapacité à faire évoluer la structure. Le département pétrole et gaz dicte toujours son agenda.
De son côté le Français Total va changer de nom en TolalEnergies. Le « s » a énergies témoigne de la nouvelle ambition et du revirement.
Cependant, l’arrivée tardive des grands pétroliers sur le marché des énergies renouvelables implique une prime aux retardataires et aux paresseux. Ainsi, ils sont forcés de débourser des fortunes pour des champs d’éoliennes et solaires devenus surévalués. Cette surenchère crée une bulle auto-alimentée. Ainsi, en Angleterre, la compétition entre BP et Shell a poussé certaines offres à l’indécence. La trouille de manquer une affaire ou de céder une future part de marché montre que la courbe d’apprentissage est encore longue. De son côté le PDG de Total, Patrick Pouyanné, a annoncé que le géant français n’entrerait pas dans cette guerre des prix.
Pétrole ou plus pétrole ?
Qui aurait pensé que cette question arrive aussi rapidement dans l’histoire ? Dans les dix années à venir, l’objectif des grands pétroliers privés se concentrera sur leur survie. Sur le fil du rasoir, ils devront jongler entre deux mondes. Leur destinée croisera les compagnies nationales des pays exportateurs dont l’unique option est d’exploiter, jusqu’à leur mort, le maximum d’or noir qui se trouve sous leurs pieds.