Tout juste vingt-quatre heures après la diffusion d’un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui évalue à 500 milliards de dollars (449 milliards d’euros) par an les subventions publiques aux combustibles fossiles, une nouvelle étude lève le voile sur un autre mouvement d’ampleur : le désengagement des actifs investis dans les énergies fossiles. Ce secteur est considéré comme le premier responsable du réchauffement climatique, pétrole, gaz, charbon représentant 80 % des émissions mondiales de CO2 et 67 % des émissions de gaz à effet de serre.
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L’association Divest-Invest a annoncé, mardi 22 septembre, lors de la New York Climate Week, en présence de Leonardo DiCaprio et Justin Rockefeller, représentant leurs fondations respectives, que l’ensemble des actifs gérés par des fonds de pension, des compagnies d’assurances et des œuvres philanthropiques ayant pris l’engagement de ne plus investir dans le charbon, le pétrole et le gaz, avait atteint un total de 2 600 milliards de dollars (2 300 milliards d’euros). Cette somme comprend les portefeuilles de plus de 430 institutions comme le fonds de pension California Public Employees’Retirement System (Calpers), le fonds de pension gouvernemental norvégien, la Canadian Medical Association ou encore l’université de Californie, ainsi que plus de deux mille riches investisseurs à titre personnel.
Agir sur le climat
« Etant donné que nous luttons contre le changement climatique, pour nous, investir dans les énergies fossiles, ce serait un peu comme si une fondation pour la lutte contre le cancer investissait dans l’industrie du tabac », a ironisé Justin Rockefeller, l’administrateur du Rockefeller Brothers Fund, lors de la conférence de presse. Cette organisation philanthropique, qui gère près de 900 millions de dollars, avait annoncé il y a un an qu’elle n’investirait plus dans le pétrole. Une décision qui avait marqué les esprits, alors que les Rockefeller ont accumulé une fortune colossale à la fin du XIXe siècle en fondant la Standard Oil.
« Il est maintenant temps de faire savoir à nos dirigeants que des individus et des institutions agissent pour s’attaquer au changement climatique et nous espérons qu’ils vont en prendre leur part en décembre à Paris durant les discussions sur le climat dans le cadre des Nations unies », a ajouté dans un communiqué Leonardo DiCaprio, dont la fondation a levé 40 millions de dollars en juillet pour protéger les derniers sites sauvages de la planète.
Car cet état des lieux du désinvestissement n’a pas pour seul but de mesurer le chemin parcouru depuis un an, lorsque les sommes en jeu dépassaient à peine les 50 milliards de dollars. Il cherche aussi à inciter les Nations unies, réunies en assemblée générale à New York, à agir sur le climat alors que les négociations en vue de la conférence mondiale de Paris (COP21) patinent. Un déjeuner des chefs d’Etat abordera le sujet dimanche 27 septembre, et plusieurs pays devraient annoncer leur contribution pour le climat à l’occasion de l’assemblée onusienne.
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Pour la secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), l’initiative de Divest-Invest peut créer une dynamique favorable. « Le choix du statu quo va laisser les entreprises et les investisseurs coincés avec des milliards de dollars d’investissements dans les énergies fossiles », a prévenu Christiana Figueres à l’attention des acteurs financiers encore hésitants. « De plus en plus d’investisseurs sont attentifs aux risques encourus quand on ne prend pas ses distances avec les énergies fossiles », confirme Tom Van Dyck, le directeur des investissements responsables à la Royal Bank of Canada.
C’est le cas du fonds de pension norvégien, qui est à la tête d’un portefeuille valorisé à plus de 900 milliards de dollars et qui vient de couper ses investissements dans 122 producteurs de charbon. Il avait justifié ce choix tant sur le plan environnemental que sur celui des risques financiers qu’il courrait s’il continuait à être présent dans ce secteur.
En France, l’assureur français Axa a annoncé qu’il allait mettre un terme à ses investissements dans le secteur du charbon d’ici à la fin de 2015, alors que ses actifs dans ce domaine s’élevaient jusqu’à présent à 576 millions de dollars. « C’est notre responsabilité, comme investisseur de long terme de considérer le carbone comme un risque et d’accompagner la transition énergétique globale », explique Henri de Castries, cité dans le rapport. L’ONG de développement CCFD-Terre Solidaire a été plus rapide en besogne. Depuis le 4 septembre, il exclut le secteur fossile de son fonds commun de placement Ethique et partage. Au Conseil de la Ville de Paris, en revanche, la démarche se résume pour le moment à l’adoption d’une motion en faveur du désinvestissement.
Même si les chiffres annoncés mardi sont significatifs, ils ne représentent encore qu’une goutte d’eau dans l’océan des investissements mondiaux, qui dépasse les 100 000 milliards de dollars. « On est encore loin de la masse critique pour pouvoir peser sur les cours de Bourse des majors du pétrole », admet Stanislas Dupré, directeur de 2° Investing Initiative, un think tank cherchant à intégrer les critères climatiques dans les processus d’investissement.
Baisse des cours du pétrole
Outre les capitalisations énormes d’un Exxon Mobil (300 milliards de dollars) ou d’un Chevron (147 milliards), le mouvement de désinvestissement se heurte à plusieurs obstacles. D’abord, pour des raisons de limitation des risques, les investisseurs institutionnels s’obligent à conserver un portefeuille diversifié. A l’inverse, miser sur les énergies renouvelables n’est pas si évident, car les acteurs sont souvent des petites sociétés, qui n’ont pas de visibilité dans les indices boursiers.
La chute actuelle des cours du pétrole a mécaniquement poussé à la baisse la part du pétrole dans les portefeuilles. Celle-ci est passée en quelques mois de 8-12 % en moyenne à 6-9 % aujourd’hui, sans que les initiatives environnementales y soient réellement pour quelque chose. Toutefois, certains gros investisseurs comme Calpers ont pris des engagements pour réaligner leur portefeuille avec les objectifs climatiques.
Il ne s’agit pas de tirer un trait sur le pétrole, par exemple, mais de pondérer le secteur en fonction de la place que ce type d’énergie occupe dans les orientations environnementales décidées par les gouvernements. « C’est aussi le but du mouvement de désinvestissement des énergies fossiles, estime Stanislas Dupré. Il s’agit de stigmatiser un secteur vis-à-vis de l’opinion publique en facilitant la tâche des politiques pour réglementer plus facilement. » « Si des acteurs privés se désengagent, cela peut créer un déclic auprès des gouvernements », espère-t-il.
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