Un pétrole de plus en plus chahuté
En s’accordant sur une "transition hors des énergies fossiles" dont les contours manquent de clarté (cette transition étant ni contraignante, ni chiffrée), la COP28 rajoute du flou dans un marché déjà peu lisible.
L’OPEP, le cartel du pétrole, a en effet annoncé début décembre une baisse volontaire de ses extractions pour soutenir les prix du baril et maximaliser les rentrées financières de ses membres. A l’opposé de cette stratégie, les extracteurs de schiste américains produisent à des niveaux records pour donner confiance à leurs investisseurs.
De son côté, le Venezuela lorgne agressivement vers le Guyana pour mettre la main sur un pétrole d’excellente qualité et sortir de son marasme économique. Soubresauts avant d’atteindre son pic: la planète pétrole entre en ébullition.
Miroir des Emirats Arabes Unis
Preuve de son hégémonie et de sa puissance, le roi pétrole a projeté une image saisissante dans le ciel d’Abu Dhabi. En miroir à la COP28, l’accueil majestueux de Vladimir Poutine, survolé par les jets militaires émiratis traînant des fumigènes aux couleurs du drapeau russe, montre le décalage avec la realpolitik.
Ici, pas de paroles creuses ou de vagues promesses climatiques, mais des plans concrets pour maximaliser les revenus pétroliers en 2024, et des options face à la guerre en Palestine.
Quelques heures plus tard, le président russe a prolongé la discussion avec le prince Ben Salmane d’Arabie saoudite à Riyad. Et le lendemain, le président iranien Ebrahim Raïssi rencontrait Poutine à Moscou.
L'OPEP baisse ses extractions
Climat ou pas, les membres de l’OPEP+ estiment qu’en 2024, la demande mondiale de pétrole augmentera de 2,25 millions de barils par jour. Mais en attendant ce rebond, la demande mondiale va logiquement baisser, durant les mois d’hiver.
Pour anticiper ce mouvement cyclique, les membres de l’OPEP+ s’accordent sur des réductions volontaires de 2,193 millions de barils par jour au moins jusqu’à la fin du premier trimestre 2024.
Ensuite, les prix devraient regrimper, pour autant que la Chine ou des Etats-Unis ne sombrent pas dans une récession.
Le schiste américain explose
Dans son combat, l’OPEP+ fait face à deux concurrents féroces.
Les COP sur le climat, favorables à une forte diminution de l’utilisation des hydrocarbures; et paradoxalement les records historiques d’extractions pétrolières des Américains, qui atteignent 13,2 millions de barils par jour.
Grâce à de nouvelles technologies, dans les gisements de schiste du Bassin Permien, la moyenne d'extraction par forage est passée de 183 barils par jours il y a 10 ans, à plus de 1'319 cette année.
Les méga fusions et acquisitions permettent une économie d'échelle. Ainsi, certains producteurs couvrent leurs coûts d'exploitation avec un baril à moins de $60 dollars.
Selon l'Agence internationale de l'énergie, les États-Unis, à eux seuls, sont responsables 80 % de l'augmentation de l'offre mondiale de pétrole en 2023.
Cette constatation pose également une question : que se passera-t-il quand cette manne atteindra son plateau ? Certains experts parlent d'un horizon de deux à trois ans.
Le Venezuela est intéressé par le Guyana
Plus au sud, les tensions grandissantes entre le Venezuela et le Guyana au sujet de l’Essequibo, territoire riche en pétrole, inquiètent.
Le président vénézuélien Nicolas Maduro verrait d’un bon œil l’annexion de ce territoire, qui lui permettrait de faire entrer des pétrodollars dans son pays en ruine. Sur le terrain, les Etats-Unis ont annoncé des exercices militaires aériens qualifiés de «provocation» par le maître de Caracas.
Comble de l’ironie, la compagnie américaine Chevron est impliquée dans le pétrole du Venezuela et ExxonMobil dans celui du Guyana. Dans les deux cas, Washington compte sur ces pétroles d’excellente qualité afin de les mélanger à son schiste bien trop léger pour en distiller du diesel ou du kérosène.
La Chine et la Russie connaissent cette épine dans le pied américain, mais quelle est leur marge de manœuvre pour tourner le couteau dans la plaie ?
Tirer un maximum du pétrole
Ces mouvements stratégiques devraient résonner comme une alarme pour les économies occidentales. Depuis 2006, l’accès sécurisé et pérenne au pétrole s’étiole et la volatilité des prix déstabilise.
Face à des gisements qui s’épuisent et pour assurer leur survie, les pays exportateurs vont fortement monnayer le privilège d’accéder à l’or noir. Ils le savent très bien, sans hydrocarbures, pas de croissance économique.
A ce jeu-là, aucun pays ne s’est mis en position de pouvoir quitter le navire; l’accord de la COP28 sur une contribution à une transition hors des énergies fossiles aux paramètres flous et sans objectifs chiffrés en est le symbole.
Originellement publié dans le Journal Le Temps