Quelle sera la dernière compagnie pétrolière à survivre ?
L’Agence internationale de l’énergie (IEA) projette un pic de consommation d’hydrocarbures d’ici à 2030. De leur côté, les grandes entreprises pétrolières américaines s’engagent dans des consolidations stratosphériques avec l’espoir de vendre toujours plus d’or noir pendant que les majors européennes hésitent à s’impliquer dans les énergies renouvelables pour tenter de rester en vie.
Qui aura vu juste?
Baisse de la demande pétrolière ?
Dans ses scénarios, l’IEA prédit ensuite une baisse de la demande dès 2030 tant pour des raisons climatiques qu’à cause de la cannibalisation de la consommation par les véhicules électriques. Si la première raison semble bien éloignée de la préoccupation des gouvernements mondiaux, la deuxième semble plausible. C’est un euphémisme de dire que ces prévisions ont été accueillies très fraîchement par l’Arabie saoudite et les grands acteurs du domaine.
En guise de pied de nez et pour bien faire croire aux investisseurs que le pétrole et le gaz méthane ont du potentiel, les trois plus grandes majors américaines viennent de puiser dans leurs comptes en banque et sortir 125 milliards de dollars pour racheter leurs concurrents.
Deux réactions opposées
ExxonMobil, le leader américain, a mis sur la table 59,5 milliards de dollars pour avaler Pionner, le géant du schiste. La douloureuse a été amortie par ses 9,1 milliards de bénéfices au 3e trimestre. Le numéro deux du secteur, Chevron achète pour 53 milliards le pétrolier de schiste HESS et annonce 6,5 milliards de bénéfices au 3e trimestre. Et dans les coulisses, il se murmure que ConocoPhillips envisage de faire une offre de 15 milliards pour mettre la main sur CrownRock LP, dans le bassin permien.
Cette consolidation des acteurs américains génère deux réactions diamétralement opposées.
La première sonne comme une douce musique au sein de l’administration Biden. En manque de diesel, Washington est forcé d’ouvrir sa porte à une normalisation de ses relations avec le Venezuela et va lever ses sanctions. Sous le couvert d’une pseudo-élection démocratique en 2024 à Caracas, la Maison-Blanche a trouvé une parade pour accéder, à nouveau, au pétrole lourd du Venezuela.
Si le schiste américain convient à merveille pour générer du plastique, les raffineries américaines ont besoin d’un brut lourd pour répondre à la demande de son aviation et de ses camions. Grâce au Venezuela et aux efforts d’Exxon et de Chevron notamment en Guyane, cette qualité de pétrole va pouvoir couler à nouveau vers les Etats-Unis.
L’administration Biden ne peut que se réjouir de ces bonnes nouvelles car pour diminuer artificiellement les prix dans les stations d’essence avant les élections de mi-mandat de 2021 et pour réduire les revenus de la Russie, Washington avait vidé une grande partie de ses réserves pétrolières stratégiques normalement affectées aux temps de crises. A l’aube des élections de novembre 2024, Biden a la délicate mission de trouver du pétrole afin de les remplir sans influencer les prix à la hausse.
Devenir le berceau d'une renaissance
La deuxième réaction vient des pétroliers européens comme BP, Shell ou Total. Avec ces méga-fusions, ils deviennent trop petits et de potentielles cibles de rachat. Bruxelles pourrait voir partir vers les Etats-Unis le pétrole jusqu’ici affecté au Vieux-Continent.
Du coup, le PDG de Shell, Wael Sawan va supprimer 15% des effectifs dans la division des solutions à faible émission de carbone. Il désire se concentrer sur des projets pétroliers et gaziers beaucoup plus rentables et éviter de se faire dévorer par les Américains. On parle même d’une fusion avec BP.
Avec la diminution des quantités de pétrole extractibles à un coût acceptable et la recherche frénétique de bénéfices toujours plus élevés, il ne pourrait rester sur le marché qu’une quantité réduite de survivants.
Les Exxon, BP, Shell, Total semblent trop petites pour faire face aux compagnies nationales comme Saudi Arabia, d’où cette obsession de manger ou de se faire manger. Cependant, ce combat offre un espace à de nouveaux acteurs énergétiques qui ont l’ambition de sortir des énergies fossiles.
En mauvaise posture, l’Europe pourrait devenir le berceau de cette renaissance.
Cette rubrique a été originellement publiée dans le journal Le Temps