Les défis d’un renouveau nucléaire
Depuis la catastrophe de Fukushima en 2011, l’industrie du nucléaire s’est démenée afin de faire évoluer la perception médiatique et politique et de retrouver une confiance perdue.
En se repositionnant comme un outil de production d’électricité à faibles émissions de CO2, le secteur semble avoir choisi une bonne stratégie. Le nucléaire représente un peu plus de 4% dans le mix énergétique mondial, mais ambitionne d’augmenter cette part de marché.
La France en recherche de financement
Durant la dernière COP sur le climat, le président français Emmanuel Macron a réussi à y intégrer son cheval de bataille avec l’objectif de trouver des fonds pour financer l’ambition nucléaire française. Pour d’autres pays comme l’Arabie saoudite, l’Iran ou les Emirats arabes unis, l’intérêt stratégique réside dans la production d’électricité ainsi qu’à un accès facilité vers l’arme atomique.
Dans ce contexte de redémarrage du nucléaire, l’industrie fait face à plusieurs défis majeurs: un déficit structurel de l’extraction d’uranium, un étranglement de l’enrichissement pour produire le combustible utilisable par les centrales ainsi qu’une omniprésence de la géopolitique.
En manque d'uranium
Pour ce qui concerne l’accès à l’uranium, la flotte mondiale de 436 réacteurs consomme plus de 65 000 tonnes par année. Même si le traité de désarmement Salt, entre les Etats-Unis et la Russie, compense en partie le manque de gisements miniers, une pénurie d’uranium se dessine.
A lui seul, le Kazakhstan fournit 43% des extractions mondiales, avec un pic atteint en 2016. L’entreprise nationale Kazatomprom vient d’annoncer que ses extractions allaient encore diminuer de 10% durant les deux prochaines années par manque d’acide sulfurique, essentiel à la production. Combien de temps encore le Kazakhstan pourra-t-il livrer les clients occidentaux? La question est posée, d’autant que Moscou et Pékin surveillent les opérations de très près.
La China National Uranium Corporation détient des droits sur près de 60% de la production kazakhe. Moscou possède 26% des gisements avec des droits sur 20% de la production annuelle. Que le Kazakhstan soit enclavé dans l’étau russo-chinois complique sa liberté de commerce. Les seules voies d’exportation viables de l’uranium kazakh vers les marchés occidentaux passent obligatoirement par ses deux voisins.
Enrichissement d'uranium
Dans le domaine de la transformation d’uranium, la situation est tout aussi tendue. La Russie contrôle la moitié de la capacité d’enrichissement mondiale d’uranium et Rosatom s’occupe de la maintenance de très nombreuses centrales. Sans le Kremlin, l’industrie nucléaire mondiale serait en panne.
On comprend mieux que les sanctions européennes et américaines aient soigneusement évité ce domaine, d’autant que Moscou a menacé de couper les livraisons aux Etats-Unis du jour au lendemain. Laisser ce pouvoir dans les mains russes n’est pas idéal, mais tenter l’aventure sans avoir de plan de secours serait catastrophique, d’autant plus que les Etats-Unis comme l’Europe vont vivre une année électorale.
Pour tenter de sortir de cette impasse, l’Angleterre annonce un programme de 350 millions d’euros d’ici à 2030 pour enrichir de l’uranium, mais faut-il encore en trouver. Comble de la dépendance pour Londres, la construction actuelle de ses deux réacteurs nucléaires dépend du financement de la Chine.
Secret de Polichinelle, les dépassements financiers et temporels des projets de nouvelles centrales sont les clous qui referment le cercueil des ambitions de l’industrie.
La Chine et la Russie à la commande
Avec ces déficits structurels dans l’extraction et l’enrichissement, couplés aux défis géopolitiques, le prix de la livre d’uranium a quadruplé depuis 2020 pour friser les 100 dollars. Les investisseurs ont senti le bon filon et voient dans cette situation de crise une opportunité financière.
La France, qui vient de quitter précipitamment le Mali et le Niger, et de facto leurs mines d’uranium, est le parfait symbole de cette dépendance assumée mais non avouée.
Le choix d’implémentations des prochaines centrales nucléaires à travers le monde pourrait bien être fait par Xi Jinping et Poutine. Les pays du Sud pourraient en être les bénéficiaires.
Publié dans le journal Le Temps